Le sang du foulard

Le sang du foulard

Baume Etrange Episode 30

Les Disparus de Baume Étrange

 

© Rémi Le Mazilier

 

L’épisode 29 c’est par ici !

XXX

 

 La bouteille à la mer

 

 

Sortir de là ? Le premier réflexe des deux scouts spéléologues fut de scruter les parois du gouffre dans la perspective d'une escalade. La prouesse semblait réalisable jusqu'à mi-hauteur mais devenait exclue dans la moitié supérieure du puits. De toute façon, la fatigue de cette folle nuit et un pressant besoin de dormir eurent vite raison de ce projet.

 

Wapiti, en bon infirmier des Choucas, décida qu'il fallait, un, se restaurer et, deux, tenter de dormir ! Panthère acquiesça. On s'alimenta d'une boîte de sardines à l'huile, de quelques biscottes brisées et de deux portions de Vache qui rit. Des noisettes en sachet firent office de dessert. Panthère, liturgiste de la patrouille libre de Saint-Ange, se fit un point d'honneur à dire le bénédicité selon la règle... Puis on aménagea une partie du sol recouverte de graviers fins et secs en « chambre à coucher ». Heureusement, les deux duvets « donnés » par les ravisseurs étaient de bonne qualité – bien qu’extrêmement crasseux ! L’une des lampes à acétylène fut éteinte, ou plutôt, eut son robinet-pointeau fermé. La deuxième lampe était réglée au minimum ; le pointeau était calé pour ne laisser s’écouler qu’un mince goutte-à-goutte sur le carbure. Le cours d’eau souterrain du « scialet Nord des Furies » était alors presque à son niveau d’étiage…  C’était donc un grondement léger et cristallin qui allait bercer les deux garçons recroquevillés dans les sacs de couchage.

 

Wapiti et Panthère furent réveillés par le bruit tonitruant de la rivière en crue, qui semblait se répercuter sur les hautes parois dégoulinantes d’eau de ruissellement. La pluie diluvienne du petit matin avait grossi le ruisseau souterrain pour en faire un torrent. D’ici peu, le grondement assourdissant monterait jusqu’à la surface. Déjà, de l’eau commençait à envahir le plancher de l’unique salle et en moins d’une heure, le sol allait être inondé. Les deux scouts spéléologues déplacèrent leur bivouac en l’installant sur une plateforme naturelle enduite d’un glacis de « calcite » – autre type de dépôt calcaire procédant de la dissolution de la roche.  Quelques heures avaient suffi pour grossir le débit de la rivière des Furies – qui était ce que l’on appelle un « réseau de surface ». A présent, le cours d’eau allait s’évacuer par des cheminements inconnus, inextricables, dans l’épaisseur de l’immense plateau de Presles, dont la bordure occidentale (à l’ouest donc) constituait les falaises de Pré-les-Fonts. Quelque deux-cent cinquante mètres de roche calcaire, compacte mais fissurée, séparaient la surface du plateau de Presles des grottes de Pré-les-Fonts. Tôt ou tard, l’eau souterraine devait rejoindre les rivières du cirque…

 

Cette nécessité géologique alluma une étincelle de génie sous la tignasse de Panthère qui cumulait, rappelons-le, les fonctions de liturgiste et de messager de la patrouille !


Or, le messager des Choucas se souvenait de ce projet de coloration dont Robert Leblanc leur avait parlé : il revoyait cette carte d'Etat-major du massif de Presles, étalé sur la table en écoins de l’esplanade de la grotte. Au-dessus de Baume Étrange, à quelques kilomètres à vol d’oiseau du cirque de Pré-les-Fonts, existait un scialet de « moins quarante » dont la rivière souterraine faisait un vacarme « monstre » en périodes de crue – à tel point que le cours d’eau « en furie » s’entendait depuis la surface !

- Nous sommes donc aux Furies ? opina Wapiti.

- Exactement ! La route qu’on a faite depuis la ferme du père Arnaud…

- Savoir ce qu’il est devenu çui-là ?

- Pour l’instant, occupons-nous de nous, si tu veux bien ! …La durée du voyage dans la camionnette et le parcours en épingles à  cheveux « en montée » indiquent bien que nous sommes sur le plateau de Presles. Et figure-toi, mon pote, que j’avais bien regardé la « topo » du gouffre, justement, quand Robert nous en a parlé ! Le puits correspond tout-à-fait à ce puits, et la rivière… et tout et tout !

- Panthère…, fit Wapiti en posant ses deux mains sur les épaules de son frère scout, Panthère, tu es un ange gardien ! Maintenant, on sait on est prisonnier…

- Et on dispose d’un moyen de nous signaler !

- ?

- La fluo, Wapiti ! La Flu-oo !

 

Wapiti tapa du poing dans la paume de sa main :

- Mais c’est bien sûr ! Il suffit qu’on déverse la fluo dans la rivière et…

- Elle ressortira…

-… A Baume Étrange !

- Robert pensera immédiatement que nous sommes les seuls à avoir pu déverser le colorant au fond des Furies !

- Panthère ! ..., je…, je…

 

Wapiti se jeta dans les bras du jeune scout et l’embrassa avec effusion :

- Tu es notre sauveur, Panthère ! Tu es notre sauveur !

- Je fais mon boulot de messager, voilà-tout !

 

Les deux jeunes scouts se trouvaient « naufragés » du monde souterrain et l’eau était l’unique lien avec le « monde habité » : il fallait donc s’en servir, confier au torrent un message, une sorte de « bouteille à la mer » ! Par un heureux hasard, douze kilogrammes d’une précieuse poudre orange avaient été déposés dans leur prison, quelques semaines plus tôt. Ce détail était ignoré de leurs ravisseurs. Seuls Robert et ses amis spéléologues étaient à même d’en identifier… l’expéditeur ! 

 

Une question restait en suspens : la fluorescéine avait-elle été dissimulée ?

 

Ragaillardis par de joyeuses perspectives, les deux Choucas firent retentir dans le gouffre un puissant cri de patrouille :

 

« Chjak-chjak-chjack ! ...Tchoucas-tchoucas-toujours-alerte ! »

 

Wapiti décréta qu’il fallait fêter ces bonnes nouvelles par un « plantureux » petit deuj’, un « PDDM » de circonstance ! A la lumière d’une lampe à acétylène « nettoyée » (il convient de « purger » régulièrement le réservoir à carbure) brillant de tout son éclat, les ombres mouvantes des jeunes spéléologues s’animaient sur les parois froides et mouillées de ce singulier réfectoire. Le doux ronronnement du réchaud à gaz que les ravisseurs leur avait « généreusement » octroyé, chauffait l’eau recueillie dans un « gour » (sorte de petite baignoire naturelle) pour un thé brûlant.

- Ils auraient pu nous laisser du chocolat ! pestait Panthère.

- Et du lait condensé !

- Bon, mais, quand même, ne nous plaignions pas trop : on a des provisions et une gamelle…

- Et du sucre…

- Et du chocolat en tablette.

 

La recherche du stock de fluorescéine avait été menée joyeusement à la manière d'un « jeu de piste ». C’était à qui le trouverait le premier ! On fit toutefois fonctionner ses méninges : en se mettant à la place d’un spéléologue désireux de cacher le produit tout en le préservant des crues, ce qui excluait une cache proche du sol…

- Au moins un mètre-cinquante au-dessus du plancher ! avait décidé Panthère.

- Et bien planqué parce que ça coûte cher la fluo…

 

Wapiti étant expert en « varappe », il escalada quelques pans de la paroi pour accéder à des « niches » naturelles, excavations susceptibles de servir de « coffre-fort ». « Tu trouves ? » s’impatientait Panthère. Un cri de victoire pour réponse : Wapiti venait de mettre la main sur un sac de plastique lourdement chargé, enfoui dans un creux de la roche. Revenu au sol, le sac livra son contenu: deux grosses boîtes étanches en plastique remplies de farine jaune citron!

 

 

Wapiti et son acolyte se souviendront longtemps de leur sauvetage, ! Du « plafond », ou plutôt du sommet du puits sont d’abord arrivés Robert Leblanc puis le CP Aigle… Jacques Maurice, ce cher Hiboux Paisible, demeura un instant en surface, perplexe devant un carton accroché à une ficelle qui barrait l’orifice du gouffre : le panneau, hâtivement griffonné, mettait en garde les explorateurs éventuels du scialet ; on pouvait y lire : « Attention ! Désob à l’explosif – Gaz toxiques ! »

 

Il s’agissait évidemment d’un grossier stratagème destiné à dissuader des explorateurs de cavernes à faire une incursion dans le scialet…

 

Un médecin spéléologue, dépêché par hélicoptère depuis Grenoble, descendit dans le gouffre peu après ; il s’enquérait de l’état de santé des rescapés, administra par piqure un remontant à Panthère - très affaibli par le froid et à la limite de l’hypothermie. A midi, ce mardi cinq juillet, le « treuillage » des deux garçons était terminé. Les « naufragés des abîmes », eurent du mal à observer le spectacle qui les accueillait au dehors. La lumière du jour les éblouissait et les gens semblaient être une multitude. Les combinaisons bleues des spéléologues associées aux uniformes des gendarmes et des pompiers, les reporters avec leurs appareils photographiques, un caméraman de télévision, les véhicules tout-terrain et tout un brouhaha confus se substituaient en quelques secondes à la solitude et au grondement assourdi de leur geôle souterraine…

 

Les Choucas, « oiseaux des murailles » et habitants des creux de rochers ou falaises, n’avaient jamais aussi bien porter leur nom.

 

Enclin au cabotinage, Wapiti était ravi !

 

Discrètement, à l'écart des sauveteurs et à la seule intention des Choucas enfin réunis, autour d'un Panthère soigneusement saucissonné sur une civière dans deux sacs de couchage, Hiboux prononça l'incantation magique à mi-voix : « Chjak-chjak-chjack ! ... » et la patrouille libre de saint Ange de poursuivre: « Tchoucas-tchoucas-toujours-alerte ! »

 

 

La suite, c'est ici...

 

 

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09/12/2016
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