Le sang du foulard

Le sang du foulard

Naissance d'une série romanesque

Par Rémi Le Mazilier 
 
 
"La Patrouille des Choucas" se veut une série romanesque ancrée dans le monde de la jeunesse sans pour autant être écrite en répondant aux codes du "roman jeunesse" - un genre de littérature qui a ses règles et son vocabulaire propres, de nos jours souvent réducteurs. Un littérateur me confiait qu'il déplorait à quel point les auteurs "modernes" pour la jeunesse avaient tendance à raccourcir les phrases, les résumant à "un article, un sujet, un verbe et un complément" et ce, en excluant les passés simples (quant aux subjonctifs, n'en parlons pas!). D'autres "codes" sont utilisés que nous pourrions qualifier de "vieilles recettes", où l'énigme de la fiction ou sa substantifique moelle tourne généralement autour des mêmes thèmes ou mêmes ficelles, des mêmes interrogations, des mêmes dénouements... Le style, la syntaxe y sont volontairement simplifiés à l'extrême pour prétendre être "accessibles" ou lisibles aux enfants ou adolescents. Si la thématique "écologique" ou la fibre naturaliste est abordée, ce n'est pas, me semble-t-il, au niveau ordinaire du vécu du lecteur - celui du quotidien, de la perception bien réelle que peut avoir un jeune "de notre temps" sur la vie et les choses. De fait, le jeune lecteur, aujourd'hui, ne s'intéresse pas à "l'ordinaire" des choses, de la vie, de la nature. La cinématographie en vogue qui réunit le plus grand nombre d'ados est une cinématographie d'univers fantastiques, irréels ou de "science-fiction" et sur des thèmes mille fois resucés ; les "mondes" en sont plus ou moins aseptisés, sans saveur, sans odeurs, et les paysages "naturels" n'en sont que des succédanés féériques ou des représentations post-apocalyptiques... Pas étonnant alors que ce qui se voit sur les écrans se lisent dans les livres!
 
 
 
Les responsables d'une grande librairie d'obédience catholique, qui existe depuis des générations, me confiaient récemment que, de nos jours, la "littérature jeunesse" se limite (quant aux ventes) aux récits situés dans des mondes fantastiques ou magiques, façon Potter ou Tolkien. Quant à la "littérature scoute", pas un livre ne se vendait. La demande était tout autre... Lors de mon passage dans leur boutique, ils tentaient cependant de "placer" deux titres "classiques" de la collection Signe de Piste réédités aux éditions Delahaye, en exposant les exemplaires sur la console des romans "jeunesse". Etait-ce une question de diffusion, d'absence de stratégie commerciale offensive, avec visites aux libraires, séances de dédicaces? Mes interlocuteurs avaient une conviction: aujourd'hui, ce "genre" de littérature (le roman scout) n'a plus sa place en librairie... Les temps sont déjà durs pour les libraires! En revanche, ces professionnels bien ancrés dans la ville depuis des décennies et habitués  à un chaland familial pensaient que la diffusion des ouvrages de fictions scoutes devaient avoir naturellement une clientèle via les réseaux proches du mouvement - les officines spécialisées en fournitures de matériel scout ou éditeurs confessionnels. Quant aux titres anciens de SdP, l'idée était que les générations qui s'y intéressent (les anciens) sont déjà en leur possession et donc que ces lecteurs d'autrefois peuvent en faire profiter leurs propres enfants... sans passer par la case achat.
 
 
 
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On peut comprendre alors que des histoires purement réalistes, qui restituent des émotions et des gestes d'un quotidien - qui plus est dans un "milieu" naturel authentique et non fantasmé, émotions et gestes en voie d'extinction (la vie urbaine et "connectée" en est responsable) -, ne soit pas la tasse de thé (ou plutôt le verre de Coca) de nos jeunes lecteurs! Quant aux personnages scouts, ils ne correspondent pas (plus) aux figures qui font rêver les jeunes lecteurs, épris de super-héros ou de chevaliers d'heroic fantasy. Le scoutisme a quelque chose de chevaleresque, qui plus est à la portée des adolescents, mais cet aspect du mouvement imaginé par Baden Powell est soit méconnu, soit ne correspond pas aux désirs d'atmosphère merveilleuse qui les obsèdent.
 
Pour ma part, vu mon âge (pas encore vénérable mais plus très jeune), après quelque 40 ans de "contage" ou de représentations narratives à destination du "jeune public", avec un succès (donc une écoute) qui m'a comblé, je n'ai pas (ou plus) l'ambition d'écrire des romans "pour vendre"... Je renonce aux concessions obligées par les modes, les tendances (le rapport éclairé des libraires évoqués plus haut m'y a conforté), et me plais à écrire en quelque sorte ce que j'aurais aimé lire à 10, 12 ou 14 ans... Non encore proposée à des maisons d'édition (pas question de publier "à compte d'auteur" ni en auto-édition numérique), cette série "d'histoires scoutes" reste donc une série totalement "déconnectée" de la filière éditoriale commerciale. Je mets "histoires scoutes" entre guillemets car, de fait, mes romans sont avant tout des fictions "de jeunesse" mettant en scène des enfants ou jeunes ados, dont la nature "scoute" cependant enrichit l'anecdote tout en permettant au lecteur de s'identifier à un groupe pas tout fait "ordinaire" et haut en couleurs !
 
D'abord construite avec un premier roman "non scout" qui faisait vivre des personnages "civils" (en fait, inspirés de mes collègues spéléologues et de moi-même durant notre jeunesse), lequel a été réécrit en substituant au "club" spéléo une "patrouille libre" fidèle au scoutisme de son inventeur, sir Baden Powell ("B.P." pour les scouts), cette série fait donc une fusion entre des expériences vécues dans le réel et une transposition aux usages et à la mentalité propres au scoutisme. Il ne m'a pas été difficile de créer "ma" patrouille en en respectant les codes: solidement documenté en "fréquentant" de nombreux sites spécialisés et en nouant des contacts étroits avec des scouts actifs ou "à la retraite", j'ai pu extrapoler et donner vie à "mes petits scouts", m'identifiant assez aisément à chacun des personnages - capacité qu'ont les conteurs d'incarner leurs héros. Quand j'ai "scoutisé" mon roman inédit "Les Disparus de Baume Etrange"* (examiné dans sa version première en comités de lecteurs de grands éditeurs mais non retenu), je ne pensais pas que la patrouille créée à cet effet connaitrait d'autres aventures! Il se trouve qu'à l'âge du "C.P." (chef de patrouille) des Choucas, je commençais mes débuts de spéléologue (contrairement à ce que des journaleux disent, il n'y a pas de spéléologues "professionnels" ou de spéléologues "amateurs"). J'ai donc, dès l'âge de 15 ans, eu l'occasion de vivre de bien extraordinaires aventures, en quasi symbiose avec la nature, quittant mes pantoufles pour les chaussures de marche, les bivouacs, les camps avec les marabouts, les "PDDM" (petits déjeuners du matin) sur le feu de bois, les longues marches dans les rocailles ou en forêt, les angoisses au-dessus des gouffres béants, les péripéties qui auraient pu mal tourner, un accident dramatique, etc.
 
Et aussi, cerise sur le gâteau calcaire: grâce à mes escapades spéléologiques, j'ai appris à regarder la nature, à y vivre, à la contempler, à la sentir et à la craindre mais d'une crainte salutaire et non morbide...
 
Depuis la naissance de la spéléologie, pratique qui est vite devenue "collective", on dit et écrit que c'est "une école de vie"... Il se trouve que l'on dit la même chose du scoutisme! Au fond (de l'abîme?), il était presque naturel que mes expériences de jeunesse se transcendent dans les récits des aventures à peine imaginaires de "six scouts spéléologues" qui n'ont pas froid aux yeux!
 
Chaque "titre" a donc un fondement solide, bien ancré dans les "karsts" (ces régions calcaires où existent les cavernes), ces karst où les arbres peuvent plonger leurs racines jusqu'à cent mètres de profondeur et sur lesquels j'ai enraciné mon imagination...
 
Le premier roman se situe dans les gorges de la Bourne du massif du Vercors*, le second dans les garrigues du karst ardéchois*, hauts lieux de mes vraies aventures de jeunesse!
 
Le troisième titre en préparation ramènera les Choucas dans le Vercors, sur les plateaux de sa moitié Nord, là même où j'ai fait "ma" première grande "expé". Le gouffre Berger, réputé jusqu'en 1968 comme "le plus profond gouffre du monde", sera le terrain du "grand jeu" peu ordinaire de nos jeunes scouts. L'action est toujours datée: située "avant 1962" - quelques années avant que j'entre au club de spéléologie. La raison en est que je tiens à reconstruire un univers différent de notre environnement social actuel, exempt de ses chaînes et de son matérialisme forcené, en phase avec des modes de vie plus simples et plus authentiques. Par ailleurs, le scoutisme a beaucoup changé depuis les années soixante et seuls quelques groupes** perpétuent les us et coutumes, uniformes compris, des scouts de jadis - ceux de mon enfance. Les enfants aiment les uniformes et les rituels! Je l'ai constaté avec mon frère, scout de France quand j'étais gamin, puis avec mon propre fils et son meilleur copain.
 
La patrouille des Choucas est désuète. Mon style aussi.
 
C'est un choix.
 
Que les lecteurs (de tout âge) qui aime cette littérature non consensuelle me suivent! Je leur prêterai casque et lampe à acétylène...
 
R.L.M.
 
 
* Ce roman est en lecture libre sur ce lien. La deuxième aventure, actuellement publiée en feuilleton, est accessible sur ce lien.
** L'Association des Guides et Scouts d'Europe (AGSE) est une illustration parfaite d'un scoutisme "traditionnel" pérenne, celui qui est pris pour cadre dans la patrouille fictive des Choucas. Une série d'articles basée sur le "journal" d'un camp d'été d'une patrouille de l'AGSE est publiée sur ce site.


22/12/2018
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