Le sang du foulard

Le sang du foulard

Le Squelette de l'aven - Episode 44

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Explorations

 

 

 

Samedi 4 août.

 

 

 

Après les orages du début de semaine, le plateau, avec ses lapiaz blancs et tièdes, est redevenu un pays d’aventures d’agréable compagnie. De nombreuses « cupules », vasques creusées par l’érosion, portent des traces des pluies diluviennes, autant de minuscules réservoirs dont l’eau jaunie fait office de baignoires aux insectes ou vers égarés, d’abreuvoirs pour les oiseaux. La patrouille du Choucas quadrille le plateau calcaire avec Arthur pour capitaine. L’enfant a retrouvé sa silhouette de « petit sauvage », vêtu de sa peau en poil de chèvre, de sa culotte usée rapiécée aux fesses avec ses jambes griffées et chaussé de ses godillots déformés  – pour le plus grand bonheur de Mouche et de Rémi, qui sont si attachés à « cette image d’Epinal ». Avec sa tenue rustique, entre genévriers, buis et chênes (auxquels les pluies avaient donné « un coup de vert »), le petit homme se retrouve davantage « dans son élément » qu’avec son complet-veston à l’église ! Le lendemain des funérailles, on a visité deux cavités, des « départs » prometteurs s’achevant sur de petites salles sans espoirs ; Arthur a épaté ses nouveaux amis en les conduisant sans la moindre hésitation sur les lieux de ses trouvailles pourtant anciennes. Dieu sait cependant quelle difficulté il y a à repérer des caractéristiques du terrain dans cet océan de pierres tordues et de crevasses impénétrables, de taillis, de ronces inextricables : « T’es un as de la ‘prospé’ ! » se plaisait à répéter Mouche à l’adresse de Yug. Un petit « jeu du foulard » a été organisé vendredi dans la clairière du Lion, où le garçon « sauvage » s’est révélé bien meilleur que tous les scouts, agile comme une anguille et rusé comme un renard. Le totem honorifique « Antilope maline » lui a été attribué. Hibou Paisible, qui parraine sa dernière journée au camp des Choucas, a déjà gravé une plaque de tôle fournie par Gustave  Darbousset, destinée à marquer la tombe de l’Inconnu de la Garrigue ; pour Jacques Maurice, tourneur-fraiseur de métier, le travail du métal est un jeu d’enfant.

 

 

 

Il s’agit à présent d’explorer une troisième cavité, un aven inconnu, selon Arthur. La patrouille est guidée sur un lapiaz « couvert », tout habillé de ronces et de pelouse sèches. Au pied d’un gros rocher émergeant, une crevasse s’ouvre, légèrement dissimulée par l’embroussaillement ; on est dans le Bois aux Fées, à un petit kilomètre du dolmen (à vol de choucas). L’orifice, de forme oblongue, long d’un mètre cinquante, large de quelque soixante-dix centimètres, donne sur un noir profond ; Arthur dit avoir descendu cet aven à l’aide d’une simple corde de chanvre - avec son père. Les cailloux annoncent une quinzaine de mètres de profondeur. Un train de deux échelles souples, de dix mètres chacune, sont fixées sur les lèvres du puits étroit, attaché par une élingue passée dans une roche percée. Une odeur de cave remonte des profondeurs ; c’est bon signe. Aigle se laisse happer par le soupirail, s’enfonce de deux mètres, s’écrie : « Flute et zut ! il a déjà été fait ! » Le jeune spéléologue a découvert, coincé dans une fissure de la roche, partiellement masqué par des mousses, un « piton à œil » à demi-rouillé… Des spéléos ont donc effectué « la première ». Consternation ! On s’accorde néanmoins à entamer l’exploration, pour le plaisir. D’ailleurs, rien ne dit que l’aven a livré tous ses secrets aux prédécesseurs inconnus. Toute la patrouille, exceptée Hibou Paisible demeuré en surface pour l’assurance, s’engage dans la crevasse ; un premier puits de seize mètres aboutit sur une trémie. Le cône d’éboulis devance un second puits, que l’équipe aménage en un quart d’heure ; un train d’échelles de vingt mètres prend contact avec le sol, à « moins quarante » - à vue de nez. Nouvelle salle, modeste puis un méandre impénétrable. Une fois de plus, les choucas se heurtent à un obstacle définitif ; comme à Baume Étrange*, comme à l’aven du Braconnier, une diaclase ferme le parcours - pour toujours. Il faudra des centaines de milliers d’années pour que les parois urgoniennes, refaçonnées par les eaux d’infiltration, connaissent une autre physionomie... Sur une plaque de boue séchées depuis des lustres, des traces de bottes... « Lundi, on fera les ‘citernes’ d’Arthur ! décide le C.P. – …De Yug ! » rectifie Mouche.

 

 

 

Dimanche 5 août.

 

 

 

Jacques Maurice est parti après la messe, laissant une patrouille un peu triste de se retrouver « orphelin ». « Sa mèche en queue de cochon va me manquer ! confie le benjamin. – Et moi, c’est l’odeur du tabac de sa bouffarde… » confesse Wapiti. Installation d’une stèle « en lapiaz », frappée de la plaque du squelette-mort (comme dit le petit Mouche, sans rire), sur le tumulus funéraire du cimetière de Saint-Remèze – le morceau d’urgonien, gris clair comme « le tibia de vingt-cinq centimètres de long », a nécessité que l’on se coltine la charrette (la Rosalie ne s’en est pas plainte, elle qui s’ennuyait à mourir dans un coin de clairière). Baignade « naturiste » au pied de la falaise des Templiers. Veillée enjouée autour du feu de camp à nouveau éclairé par la pleine lune : chansons, saynètes improvisées (certaines sont retenues à l’unanimité pour le programme « théâtral » de la grande veillée « publique » en préparation).

 

 

 

Lundi 6 août

 

 

 

Va-ton enrichir la vitrine aux « trophées » du « mastaba » du 12 de la côte Saint-Martin ? Réponse aujourd’hui. Après un PDDM ensoleillé, la vaisselle et la toilette (de chat), la patrouille monte les couleurs dans le plus strict respect des règles – et du rituel auquel chacun des scouts tient beaucoup. Un peloton constitué de six cyclistes en combinaison de coton au bleu terreux et bérets noirs, avec la charrette comme « voiture balai » tirée par Wapiti, avec Arthur pour passager et tout le matériel d’explo, roule vers l'ouest sur la « D201 ». Les deux « citernes » préhistoriques sont les objectifs. Yug est formel : chacune des cavités se situe de part et d’autre de la route, à quinze ou vingt minutes de marche dans la garrigue ; l’enfant sauvage se souvient de repères « qui ne trompent pas » : une butte de rochers disloqués pour l’une, une « doline » pour l’autre. Pour la doline, l’opération est plus difficile : la végétation, épaisse, des arbustes, peuvent la dissimuler malicieusement. On commence par celle-ci, à gauche de la départementale, au sud, les scouts désirant entamer la phase la plus compliquée du programme et se réserver « le plus facile » (Mouche) pour le dessert, avec la colline rocheuse qu’on ne peut « manquer ». Une petite heure de « crapahutage » en zigzag, en va-et-vient, parsemé d'embûches naturelles (ah! ces karsts!) engendrant griffages de visages et jurons variés, constitue le préliminaire d’un échec ! Arthur-Yug, enfant de la garrigue, fils du braconnier Grégoire et poseur chevronné de collets, reconnaît des coulées de gibier que des générations de lapins de garenne ou autres lièvres ont tracées dans les broussailles…, mais aucune ne conduit à la doline. Yug est pourtant sûr du secteur des recherches mais celles-ci vont demeurer vaines ; l’Enfant Sauvage souffre sa première défaite mais il ne s’en formalise pas : le plateau calcaire ardéchois est un terrain trompeur où bien des paysages se ressemblent, où les collines succèdent aux collines, où l’embroussaillement efface les repères. Wapiti peste après cette garrigue inextricable, traitresse, après ces lapiaz « qui se copient » (Renard) ! Rémi et Mouche observent Yug : l’enfant en poil de chèvre ne se démonte pas ; la garrigue est un monde qui se fait respecter et personne n’en est le maître ! Il hausse les épaules, avec un dépit mesuré, fait de compassion pour les scouts-spéléologues et non d’amertume. « On trouvera pas ! » conclut-il. - Pas grave ! » réplique Mouche, saisissant au vol secrètement, pour la deuxième fois, la preuve que le Seigneur de la Garrigue n’est pas un surhomme (il n'en est que plus aimable)… Yug a peur sur un porte-bagage de vélo, et Yug n’est pas un sorcier extralucide – et c’est bien ainsi ! « Demi-tour ! ordonne le chef de patrouille, cherchons-nous un coin plus sympa pour sortir la bouffe, après, ...repos et après, on attaque l’autre côté du plateau ! »

 

 

 

A suivre sur ce lien...

 

 

 

Lexique

 

Image d’Epinal : Imagerie caricaturale, naïve ou folklorique.

Doline : dépression typique due à l'érosion, généralement circulaires, que l'on trouve sur les plateaux calcaires.

Coulée (de gibier) : piste bien tracée laissée par du gibier, sur un itinéraire régulièrement empruntée par l'animal.

 

 

Références

 

Méandre de Baume Étrange : méandre fameux dont il est question dans la première aventure des Choucas (Le "Méandre impossible")



15/10/2019
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