Le sang du foulard

Le sang du foulard

Feulleton - Episode 20

Les Disparus de Baume Étrange

© Rémi Le Mazilier

 

L’épisode 19 est sur ce clic

 

 

XX

 

Où le mystère s'épaissit

 

 

 

Fourbus, les Choucas sombrèrent instantanément dans un profond sommeil. Rémi se réveilla subitement au cœur de la nuit, comme si quelque alerte inconsciente ravivait son esprit. Le silence était total, lourd, opressant… sauf que, par intermittence, de brefs craquements semblaient venir de nulle part ; les poutres de la charpente claquaient d’un bruit sec, mat, retentissant d’un singulier écho entre les murs épais. Le cul de pat’ se dit qu’il s’agissait là du « charme des vieilles masures » ! Il avait soif mais hésitait à s’extraire de son duvet. Les gourdes étaient restées dans la première pièce. Il pensa alors à « Martin », lequel ne baissait jamais les paupières – et pour cause ! Il imagina la tête de mort, figée dans l’obscurité et prête à apparaître à la moindre lumière ! Il pensa aux fragments d’ossements humains trouvés en Ardèche et conservés au local de la Côte Saint Martin… Tiens, mais au fait, le nom attribué par Mouche au crâne était celui du saint dont la ruelle du local portait précisément le nom ! (Le lendemain, le boute en train avouerait qu’il ne s’agissait que d’une coïncidence – et qu’il ne l’avait « pas fait exprès » !).

 

Un bruit nouveau, d’une autre nature, mit en émoi le cul de pat’… Quelqu’un touchait aux bûches entassées près de la cheminée, à côté de la poutre au crâne ! Le sang du garçon se glaça dans ses veines. Sueur froide. Respiration haletante. Envie de réveiller les autres. Le bruit cessa puis recommença. Il cessa de nouveau. On aurait dit qu’un intrus eût voulu saisir une bûche sans se faire entendre.  Le garçon se pelotonna dans son sac de couchage, terrifié. Une force irrépressible paralysait ses cordes vocales. Il ne pouvait crier. L’intrus tenait-il sa bûche dans la main pour s’en servir de matraque ? S’avançait-il à pas feutré vers la chambre ? « Aigle ! » put enfin crier le cul de pat’. Le CP se dressa sur le lit tel un ressort, quémandant une justification… « Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce qui se passe ? – Écoute ! Y a quelqu’un à côté, dans la pièce ! – Tu as rêvé ! – Mais non, je t’assure ! Quelqu’un a ramassé une bûche… J’ai bien entendu. Quelqu’un qui est entré ! – Mouche a fermé à clé… »

 

Le CP s’extrait de son duvet et se saisit d’une lampe. Rémi se lève en laissant glisser son sac de couchage sur les mollets. « Chuuut ! » fait Aigle en posant un index devant ses lèvres. Il soulève promptement la couverture qui ferme la porte, le faisceau de la lampe orienté devant lui telle une arme puis explore d’un coup d'œil la petite pièce ; le rayon lumineux n’éclaire que les meubles, l’évier et la cheminée… Personne ! Pas le moindre visiteur ! Demeurée dans la pénombre sur sa poutre, la tête de mort paraît s’amuser de cette inspection impromptue, alors que son ombre portée, mouvante, semble lui donner un semblant de vie, avec ses orbites profondes au regard lugubre... « Pourtant…? Fait Rémi. – T’as rêvé, petit ! – Je vais boire… » Les garçons s’approchent de la table et boivent aux gourdes. A ce moment-là, deux bûches s’affaissent près de la cheminée. Les regards se portent sur la réserve de bois d’où s’échappe un petit animal poilu, au corps effilé et gracieux ; la bête, embellie d’une longue queue touffue, aussi rapide que l’éclair, passe devant l’âtre et disparait entre deux pierres disjointes. « Un loir !  constate le CP, ton loup-garou était un loir ! » Rémi baisse le front, tout penaud.

 

Dans la chambre, Renard et Mouche dorment du sommeil des justes. « Passez-moi les saucisses ! » dit le mirliton des Choucas, probablement préoccupé par des grillades oniriques.

 

 

Plusieurs passages de véhicules montant vers les grottes ont raison des rêves matinaux des Choucas. Aigle s’éveille le premier, consulte sa montre posée sur le tabouret, parvenant à en lire le cadran dans la lueur bleutée qui filtre d’à travers les volets. Huit heures sept ! Une vraie grâce matinée ! Et Renard qui a un service funèbre ! Le moteur de la jeep de Robert Leblanc s’engage sur l’allée du hameau, s’arrête sous la fenêtre de la chambre. On en descend. Bruits de cannettes qui s’entrechoquent dans leurs caisses. Le CP sonne le réveil : « Debout les Choucas ! » Son cri est péremptoire et n’admet aucune contestation. Mouche murmure, à demi-endormi ; Renard baille bruyamment en libérant ses bras du duvet ; Rémi toussote pour évacuer de son gosier les poussières du plancher… « C’est midi ! » prévient le CP (mensonge grossier). - Déjà ? s’étonne Renard. Et... ? Crotte ! J’avais un enterrement ! – J’ai bien dormi ! »  fait Rémi. Nouveau murmure (plaintif) de Mouche. Quelques minutes plus tard, trois Choucas se pressent dans la pièce d’à côté, où la tête de mort les accueille de son sourire légendaire ;  le crâne est moins inquiétant que la veille – la lumière du jour naissant a gommé ses grimaces sinistres. Le CP ouvre la fenêtre, les volets, se penche à l’extérieur, salue le propriétaire de Baume Étrange. Une cacophonie d'oiseaux fait vibrer le feuillage d'un arbre. Renard verse de l’eau dans une gamelle, allume le gaz ; Rémi dépose des quarts sur la table, tranche le pain. La couverture-tenture de la chambre se lève pour laisser apparaître, comme au théâtre, le boute en train de la patrouille, un Mouche aux cheveux en bataille et aux yeux à demi collés, la morve sur les lèvres… « Pas trop tôt ! le Choucas ! » gronde Aigle. – On fait ton travail ! » surenchérit Renard. Pour donner le change, le mirliton-boute en train se met « à battre des ailes » et à sautiller en poussant le cri de la troupe. « Chjak-chjak-chjack… Choucas-choucas... - Toujours alerte ! » concluent à l’unisson les quatre scouts. Aussitôt fait, le petit Mouche vient se placer tout près de la cheminée, face au crâne qui, lui, n’a pas crié ! « Salut, Martin !... Hé ? Vous avez dit bonjour à Martin ? Faut pas l’oublier… Il est triste, dans son coin, tout seul, sans personne à qui parler ! »

 

L’aire de stationnement est occupée par beaucoup plus de voitures que la veille. Il y a même un car de touristes, dont vraisemblablement le chauffeur ignorait que la grotte ne serait pas visitable aujourd’hui (décision prise hier au soir par le gérant). Une « meute » de louveteaux, une douzaine de garçons tout de bleu vêtus, envahit ce qui reste d’espace, se regroupant près du talus autour de leurs chefs. Une voiture « break » bleu ciel et grise, une Citroën flanquée du sigle « RTF », trahit la présence d’une équipe de journalistes de la Radiodiffusion-télévision française. Ainsi, l’affaire des « disparus de Baume Étrange » sera les choux gras de la journée !

 

Les « griffons » du sentier des grottes sont moins envahissants ; assurément, la décrue s’est bel et bien poursuivie. Il y a foule sur l’esplanade de Baume Étrange et une jeune femme blonde, belle comme une suédoise de magazine, sert les boissons à la buvette. La patrouille des Choucas, momentanément réduite à trois scouts puisque Renard est descendu « servir » des funérailles, vont faire connaissance avec Chantal, l’épouse de M. Leblanc et mère de Xavier, montée aux grottes pour donner la main. Des touristes sont collés au comptoir, d'autres ont conquis la plateforme de la grotte. La consigne est formelle : interdiction au public de pénétrer dans Baume Étrange ! Le jeune Xavier va à la rencontre de la patrouille - ce qu'il en reste ! « Vous n'êtes que trois ? », s'étonne-t-il. Mouche saisit l'occasion de s'amuser : « Disparu ! Volatilisé le Renard ! N'était pas dans sa cave, ce mat' ! - Vrai ? » Aigle corrige : « Non, non ! Renard n'a pas disparu ! Il sert un enterrement au village. » Le CP parvient à se glisser à l'intérieur du cabanon pour y quémander des nouvelles concernant ses scouts réellement portés disparus. Ce matin, au hameau, quand il se ravitaillait en boissons, M. Leblanc l'a informé que l'élargissement de la fissure « impossible » était toujours en cours ; à présent, cette opération est terminée... Ayant atteint les parois souillées de traces fraîches, un sauveteur a dû faire un constat alarmant : quelques mètres après le passage élargi, tout espoir d'aller plus avant est réduit à néant. Les parois latérales de la diaclase ne sont séparées que de la largeur d'une main ! Si un Choucas a réussi à se glisser dans la diaclase sur quelques mètres - et il ne peut s'agir que du filiforme Panthère -, il a forcément rebrousser chemin ! 

 

« Alors où sont-ils ? - Pas dans la grotte ! » opine le propriétaire de Baume Étrange !

 

Près de la machine à café, le Dauphiné Libéré fait sa « une » du mystère de Pré-les-Fonts :

 

DEUX JEUNES SCOUTS DRÔMOIS

DISPARUS DEPUIS 24 HEURES

DANS UNE GROTTE DU VERCORS

 

L'information n'est plus vraiment d'actualité... D'un commun accord avec les autorités administratives préfectorales, les spéléologues sauveteurs conviennent de cesser les recherches dans Baume Étrange. Les sacs tyroliens de Wapiti et de Panthère sont bien abandonnés au pied de la falaise, avec les uniformes, à deux pas de l'escalier qui grimpe à la grotte, la clé du portillon de la cavité était bien rangée sous sa pierre à l'intérieur de la grotte mais il faut se rendre à l'évidence : les deux Choucas se sont envolés - sous d'autres cieux ! La présence énigmatique d'une main sanglante à l'amorce du réseau des Soupirs n'a pas été divulguée à la presse - tant mieux pour les parents, qui, prévenus par l'abbé Gerland, ont été tenus dans l'ignorance de ce détail inquiétant - mieux vaut attendre leur arrivée sur les lieux pour leur en dire davantage. Aigle et ses compagnons sont abasourdis par la nouvelle. Le CP est secoué d'un frisson glacial ; un sentiment de culpabilité l'assaille, le saisit d'angoisse... Il se précipite derrière la buvette et fond en larmes. En retrait de la foule, Mouche et Rémi croisent leurs regards, étranglés par l'effarement ; une sorte de cauchemar vient de se substituer à leur belle aventure scoute.

 

Les sauveteurs décident d'entamer des recherches aux abords immédiats de la grotte, sur les nombreux sentiers qui sillonnent les éboulis au pied des falaises - qui sait ? Pour on ne peut imaginer quelle raison, les deux garçons ont peut-être été marcher sur une sente, au sortir de leur désobstruction et avant de revenir se changer... L'hypothèse est saugrenue mais à quoi faut-il se raccrocher ? Une ballade sous le ciel étoilé et au clair de lune pour respirer l'air frais qui se serait soldée par une chute dans les éboulis (à certains endroits, les sentiers présentent des à-pics vertigineux)? Une unité des Pelotons de gendarmerie de haute montagne a été sollicitée.

 

Le gérant des grottes prend une décision : il va explorer le plan d'eau de la salle du Lac dont il connaît le moindre recoin - excellent spéléologue plongeur, le siphon de « sa » grotte lui est familier ; cette décision repose sur cette probabilité tragique : revenant de L'œil du diable, Wapiti et Panthère auraient décroché de la vire et se seraient noyés... Il ne veut pas croire à une hypothèse aussi terrible mais la sagesse et la logique dictent de vérifier.

 

Mouche fait quelques pas pour aller trouver le CP mais s'en tient suffisamment éloigné pour respecter sa détresse ; le boute en train de la patrouille s'est dépouillé de sa bonne humeur perpétuelle.

 

La suite, c'est par ici...

 

 

 

 



08/04/2016
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