Le sang du foulard

Le sang du foulard

Feuilleton épisode 14

Les Disparus de Baume Etrange

© Rémi Le Mazilier

 

Episode 13 sur ce clic

 

XIV

Du rouge dans le noir

 

 

 

Le CP s’avança prudemment vers le marabout, suivi de près du cul de pat’, ayant saisi la torche de Rémi qu’il gardait éteinte. Les deux scouts serraient fermement leurs poignards dans la main droite, déterminés à faire face à l’éventuelle agression de l’intrus. Ils se trouvaient à trois mètres de la tente massive dont la toile kaki avait viré au noir avec des reflets argentés par le clair de lune, quand une nouvelle bourrasque en fit claquer les toiles. La porte du marabout étant restée tirée sur le côté, le vent s’y engouffra et souffla la bougie que l’inconnu avait allumée dans le kraal. La croix potencée blanche de l’étendard qui claquait, plaqué au-dessus de l’ouverture, s'affichait avec une brillance lunaire. Dans l’antre obscur, deux verres de lunettes renvoyaient la clarté de l’extérieur – deux yeux sans visage qui semblaient regarder les garçons. « Tu es qui ? lança Aigle, avec autorité. – C’est moi, Jean-Pierre! » répondit le visiteur. Aigle alluma la torche dont le faisceau illumina le visage décoloré de Renard…

 

« Tu nous a fait une belle peur ! déclara Aigle.

- Pardon ! Je ne voulais pas vous réveiller ! répondit Renard.

- Et les autres ?

- Toujours dans Les Soupirs… »

 

La porte du marabout ayant été rabattue, Renard alluma à nouveau la bougie avec son briquet à essence. La chandelle, soudée sur une boîte de conserve, était posée sur la petite table pliante qui se trouvait près de l’entrée. Le visage de Renard apparut souillé de boue car le garçon ne s’était que sommairement débarbouillé à la fontaine. Il expliqua qu’il avait quitté le chantier de désobstruction lorsque, saisi par le froid, il avait dû renoncer à achever son « quart ». « Tu as bien fait ! approuva le CP. Et les autres ? Ça allait ? – Mon chandail est trop léger… Eux sont mieux équipés que moi… Ils devraient rentrer à l’heure prévue. » Renard sortit une gourde de son sac et la porta à ses lèvres. « Qu’est-ce qu’on fait ? On les attend ? interrogea Rémi. – Mieux vaut retourner se coucher ! décida le CP. Demain matin, ça sera à notre tour de creuser… »

 

Renard était invité à venir s’installer dans la tente commune. On croqua quelques biscuits puis il voulut retourner à la fontaine pour achever sa toilette de chat ; il s’y rendit accompagné par le CP et le cul de pat’ qui en profitèrent pour se désaltérer à la source d’eau fraîche. Dans le silence de la nuit, seules les violentes bourrasques de vent, de plus en plus fréquentes, tentaient de semer la discorde. Les buis, les pierriers, les toits du hameau en contrebas et les falaises situées à l’est, tout en haut au-dessus du camp, conservaient leur étrange luminescence. Au sud-ouest, par-delà les gorges de la Bourne, de lourds nuages noircissaient le ciel. Le CP savait que le vent d’ouest n’annonçait rien de bon. L’ambiance singulière, faite de nuit, de paysage lunaire et de menaces orageuses, la pensée obsédante qui habitait le novice concernant ses deux frères scouts « avalés » par la montagne, tout cela avait pour effet d’attiser l’imagination du cul de pat’. Le jeune garçon avait l’impression d’être à l’intérieur d’une bande dessinée relatant une aventure mystérieuse. Le vent du sud-ouest était plutôt tiède. Renard ramassa son vélo qu’il avait abandonné au début du sentier pour ne pas faire de bruit, et le coucha  sur la pelouse. Une étoile filante traversa le ciel au-dessus du camp : Rémi n'en avait encore jamais vue - et n'osa pas l'avouer !

 

« Allez ! On va dormir!» enjoignit le CP.

 

...


La pluie ne cessa de marteler le double-toit. C’était une véritable canonnade aussi bruyante que l’aurait fait un orage de grêlons!  Quelques filets d’eau commençaient à ruisseler sur la face intérieure de la tente, à deux cheveux de la tête des dormeurs. Rémi se réveilla à plusieurs reprises, taquiné par des gouttes venues choir dans le creux d’une oreille ! Une sensation de bien-être planait néanmoins sur le mini dortoir ; les sacs de couchage, gonflés de duvet, enveloppaient les quatre Choucas de chaleur et de confort. L’humidité n’avait pas encore pénétré la literie. Le cul de pat’ ouvrit les yeux, surpris de voir le jour qui éclairait la toile de la porte. Normalement, les deux autres spéléos devaient être rentrés ; probablement dormaient-ils du sommeil des justes ! Rémi interrogea sa montre : sept heures dix-huit… Peu de temps après, la pluie cessa. L’apprenti scout se libéra de son duvet, s’habilla et, courageusement, entreprit de braver un dehors mouillé sous un ciel maussade. Il marcha pieds nus dans l’herbe détrempée et fraîche, se transporta jusqu’au marabout. Sa surprise fut grande quand il constata que la grande tente était vide ; rien n’avait changé dans la place depuis leur départ du kraal au milieu de la nuit. Wapiti et Panthère n’étaient donc pas rentrés ? Rémi alla voir sur l’allée qui menait au camp : aucun vélo ne s’y trouvait ni non plus au bas du talus, en bordure du chemin des grottes.

 

Le novice décida qu’il fallait alerter le CP.

 

Tirant la toile de porte sur le côté, le cul de pat' cria : «Debout ! Il fait jour et les autres ne sont toujours pas là ! ». Le CP ouvrit les yeux, se dressa en prenant appui sur les coudes. Puis ce fut au tour de Mouche puis de Renard de revenir à la vie. « Qu’est-ce-qui se passe? S’inquiéta Renard. – Ils sont là ? Interrogea Mouche. – Stéphane et Michel ne sont pas rentrés ! annonça le CP. – On va les chercher ? » réagit Mouche.

 

Dans l’impossibilité de faire du feu avec un bois trop mouillé, la patrouille - ou plutôt ce qu’il en restait -, fit chauffer de l’eau sous le marabout en utilisant le petit réchaud de randonneur - d'ailleurs, il fallait faire vite. Mouche disposa sur la table biscuits et pain d’épices, boîte de sucres et quarts en aluminium. Renard déversa généreusement de la poudre de lait dans la gamelle d’eau frissonnante. Chacun serrait ses bras autour de son corps pour se réchauffer car il faisait frais, de cette fraîcheur mouillée d’après pluie, particulièrement désagréable le matin quand on sort de tente.

 

«Il faut aller voir à la grotte. Si leurs affaires y sont encore, nous entrerons dans le réseau, décida le CP.

– Tu penses qu’il leur est arrivé quelque chose ? risqua Renard.

– Un accident ? précisa le novice.     

- Un éboulement ? surenchérit Mouche.

- On le saura quand nous y serons ! Ponctua le CP. Avalez vite votre PDDM! On fait la montée des couleurs et après, on y va ! »

 

 

Renard tira sur la drisse tandis que Mouche lui tendait le drapeau. Aigle et le cul de pat’ se tenaient de part et d’autre du mât, en tenue impeccable, béret calé sous l’épaulette; Renard avait pris grand soin de se laver correctement les bras qu’il avait gardés jusqu’au matin encore souillés de boue séchée. Le drapeau monté « Scouts, Saluez! » Ordonna le CP. Les quatre Choucas, en carré autour du mât mouillé, levèrent la main droite avec trois doigts levés et le pouce sur le petit doigt replié. « Renard, tu nous dis une prière pour nos frères en service ! » Le liturgiste de la patrouille joignit les mains sur la boucle de son ceinturon puis, dans sa prière, évoqua l’inquiétude commune concernant leurs frères scouts ; il sollicita la protection bienveillante de la Sainte Vierge et pria Dieu de les protéger de tout mal en ce premier jour de la semaine.

«Amen!

- Scouts,toujours…, clama le CP.

- Prêts!

- Rompez!»

 

Tandis que les Choucas ramassaient leurs bicyclettes, sac tyrolien sur le dos, Mouche (auquel rien n’échappait), poussa un cri de découverte : « Là, regardez ! ». Il pointait un index par-delà le hameau, sur la haute paroi calcaire située de l’autre côté des gorges. Sortant d’une grotte dissimulée par la végétation sur un palier de la falaise, des gerbes d’eau écumantes formaient une chute de deux cent cinquante mètres ; la cascade de Moulin Marquis, invisible de si loin en période de sècheresse, avait grossi à cause des pluies de la nuit. Elle était dans la zone non encore éclairée des gorges. Tout au fond du ravin, une langue de brumes léchait le torrent demeuré invisible et ses rives encaissées. Les flots de la Bourne grondaient en sourdine. Au nord, de l’autre côté de la route des grottes, au-dessus du campement, la rosée s’évaporait dans l’air glauque. Ragaillardis, les garçons enfourchèrent leurs vélos. Ils quittèrent le Pra avec entrain, impatients de connaître les raisons de l’absence de leurs frères scouts. En chemin, il fallait slalomer entre les pierres que la pluie avait détachées du talus supérieur. En différents points du parcours, des lapins déboulaient devant eux, surgissant des broussailles, fuyant devant les cyclistes puis les abandonnant en se fondant dans la végétation des talus.  Avant neuf heures, les quatre Choucas arrivèrent sur le parc de stationnement de Baume Étrange, entièrement désert. Vite, on mit pied à terre, on jeta les vélos sur le talus puis on se pressa sur le sentier des grottes.

 

A cet instant, une détonation retentit au-dessus du parking. Cela provenait de la falaise. Un bruit confus suivit l’étrange explosion. A peine les garçons s’étaient-ils retournés qu’ils voyaient une cascade dévaler de la montagne. La falaise vomissait un torrent ; le déferlement se produisait dans un lit habituellement asséché. C’était un cours d’eau temporaire qu’une canalisation drainait sous le terre-plein. La patrouille libre de Saint Ange venait d’assister à la « crevaison » de la Baume Chevaline. Le torrent se précipita sous le remblai, réapparut en aval, roula de pierre en pierre ; il se jeta du haut d’une falaise, se brisant cinquante mètres plus bas, allant rejoindre la Bourne. Au plus fort de la crue, la chute ainsi formée ressemblait à une queue de cheval – visible de très loin. Les Choucas s’accordèrent le temps de ne rien perdre de cette spectaculaire « mise en eau ».

 

Le sentier des grottes étaient à flanc d’éboulis ; des passerelles accrochées aux barres rocheuses le complétaient. De nombreuses cascatelles s’écoulaient de l’éboulis et ruisselaient sur le sentier ; c’était les « griffons » de Baume Étrange – plus envahissants que d’ordinaire. Les scouts mirent trois minutes pour arriver sur l’esplanade. Le paisible ruisseau était devenu un torrent agité. Le flux jaillissait des fissures supérieures et recouvrait l’orifice habituel. Le grondement en occupait toute l’esplanade. La falaise saignait. La montagne était en colère !

 

Les deux sacs tyroliens de Wapiti et Panthère étaient là où ils les avaient laissés ; leurs tenues scouts s’y trouvaient. Les Choucas troquèrent leurs uniformes contre les vêtements d’exploration. On n’alluma pas les acétylènes pour gagner du temps; les casques, encombrés du système d'éclairage, resteraient là. Rémi revêtait pour la première fois sa « tenue de spéléo » – composée de guenilles en lainage et d’un vieux pantalon en jean. La grille de Baume Étrange était fermée à double tour… Aigle ramassa la clé sous la pierre située tout près des barreaux, à l'intérieur. De petits cris aigus accueillirent les Choucas dans la première salle ; une boule minuscule fixée à la paroi déploya ses ailes fragiles. Dérangée, la chauve-souris s’anima légèrement puis ramena ses ailes pour s’en envelopper le corps. Les quatre garçons traversèrent en hâte le Carrefour des Perdus et la salle Ronde. Sur le circuit touristique, les flaques étaient plus nombreuses que la veille ; des concrétions suintaient et il pleuvait dans la salle Ronde ! On courut dans le Méandre, on passa la salle du Dinosaure. Peu avant le lac souterrain se trouvait le seuil du réseau des Soupirs. La galerie étroite qui conduisait au laminoir se scindait en deux branches dont l'une débouchait dans la salle du Lac ; les Choucas le savaient. Voici un carrefour. Deux fissures verticales partaient en sens contraire. « A gauche ! commanda le CP. – Tu es sûr ? » Le CP jeta un regard réprobateur au contestataire qui s'était permis de douter de lui!

 

Les scouts suivent la fissure sur quelques mètres puis arrivent dans une salle sablonneuse en cul-de-sac. Rémi reconnaît la bouche étroite qui a avalé les deux choucas – prisonniers des entrailles de la terre ? Digérés peut-être ? La chatière en forme de soupirail cache-t-elle un drame ? « Si on appelait ? » propose Mouche. Oui, il faut se manifester, car Wapiti et Panthère ne sont peut-être pas loin, en difficulté de l’autre côté du laminoir. Les quatre garçons associent leurs cris, accroupis devant l’étroiture épaule contre épaule.

 

En vain.

 

Le CP puis Renard, puis Mouche se glissent dans le soupirail infernal, l’un à la suite de l’autre, pestant tour à tour contre la paroi « de plafond » qui les écrase au sol. Après le glacis de calcite, une « mare » de boue fait "floque" sous le corps. Le petit Mouche a été très rapide à franchir l’obstacle ! Rémi, dernier à forcer le passage, doit s’y prendre plusieurs fois, avançant, reculant, ressortant puis se livrant à nouveau à l’étroiture maléfique ! Son cœur bat très fort et sa respiration est haletante... Pendant quelques minutes, il pense devoir renoncer. Mais ce serait trop bête ! Cul de pat’ de la patrouille libre de Saint Ange, devra-t-il camper , seul, dans l’attente d’un dénouement imprévisible ? Il se rappelle qu’il a toujours voulu « faire » de la spéléologie… Va-t-il renoncer à la première véritable difficulté ? Pas question ! se dit-il. Ses trois frères scouts l’attendent de l’autre côté : « J’arrive ! les rassure-t-il. – On t’attend ! fait la voix de Aigle, très étouffée par la roche. – C’est facile ! n’ai pas peur ! » encourage le petit Mouche. Ces exhortations font sourire le « cul de pat’ » – qui n’a jamais aussi bien mérité son « titre » ! Le novice regarde derrière lui la galerie par où ils sont arrivés. Le décor minéral, resserré, humide ou suintant, obscur, à peine esquissé par sa lampe torche, lui paraît soudain inquiétant… Le couloir étroit et qui se fond vite derrière lui, dans un étranglement sinistre, lui semble complice de quelque menace fantastique et de nature indéterminée. 

 

Rémi se met à plat ventre, passe la tête dans la chatière, y glisse les épaules bras tendus en avant, poussant sa lampe torche droit devant lui. Avec ses jambes, les genoux, ses pieds cherchant en vain un point d’appui, le garçon progresse centimètre par centimètre dans le laminoir, se cogne la tête non protégée. Il s’écorche les mains, déchirent ses vêtements, se coince une épaule… Il faut légèrement faire pivoter le thorax, reprendre son souffle le temps d’une très courte pause. « Ça va ? lui fait parvenir la voix bienveillante du CP. – Tu vas t’en sortir ! » ajoute Renard, probablement assis quelque part de l’autre côté… Sa lampe s’éteint suite à un mauvais contact. Rémi jure. Il pousse violemment devant lui la torche devenue inutile. Un peu de lumière électrique lui arrive de la « sortie ». L’éblouissement de la torche amie lui fait du bien ! Il soupire (le réseau porte bien son nom !). Raclements de vêtements. Déchirure du jean à un genou.  Mains écorchées. Éraflures sanguinolentes aux jointures des doigts. Ses intestins lâchent une forte projection de gaz ; la « détonation » semble résonner dans le laminoir, singulièrement déformée. La chose amuse les trois choucas déjà libérés de l’emprise du roc… Mouche s’esclaffe. « Ça te poussera ! » plaisante Renard. Nouvel éclat de rire de Mouche. Enfin, les épaules s’extraient de l’étroiture à la bouche glaiseuse en même temps que la tête, puis les jambes suivent – tout paraît soudain facile… « Ouf ! » fait le cul de pat’. Les autres choucas applaudissent. Mouche lance un « Chjak-chjak-chjack plus jubilatoire que jamais! – Choucas-choucas…, fait le CP. – Toujours alerte ! concluent Mouche et Renard. – Tou-jours-ouf !...aaa-leeer-te ! Ouf ! » fait écho le cul de pat’, la voix étranglée.

 

Chacun des choucas à le visage maculé jusqu'aux cheveux ! Rémi pense à de petits sauvages prêts pour la guerre. Il ôte d'une narine un bouchons de glaise. Renard a ses deux verres de lunettes aux trois quarts voilés de boue déjà sèche. Mouche a un nez de clown couleur de terre. Aigle se trouve coiffé d'une tignasse qui hésite entre boucles ondulées et casque de glaise... Les combinaisons se confondent avec le décor !

 

Au-delà du laminoir, le plafond s’élève de deux ou trois mètres et les parois prennent du large. Au bout de cette galerie toute en longueur dont les murs sont creusés d’aspérités difformes, un rétrécissement fait cul-de-sac ; une frange de stalactites rouge sang coiffent le début d’une tranchée d’argile rouge foncée, presque noirâtre. « La désob’ ! ». Aigle a dit ces deux mots sur un ton presque grave. Un vieux seau en plastique épais, fendu sur le côté, est empli aux trois quarts de terre glaise mêlée à du gravier et quelques cailloux aux arrêtes vives. Une pelle de terrassement est couchée sur le sol mou, constitué de pierres et d’argile. Une pioche au manche glaiseux sur tout son long repose contre la roche tout près de la tranchée. Celle-ci est profonde d’environ un mètre ; on peut s’y enfoncer jusqu’à la taille. Sur le côté, un conglomérat d'argile, de calcite brisée et de pierres coupantes de différentes grosseurs forment un énorme tas de déblais - ressemblant à une tombe fraîche... Dans la partie finale de la tranchée, sous la paroi, une excavation large de quinze centimètres et haute de trois doigts, donne sur un vide noir comme l’entrée d’un mastaba ; un courant d’air la traverse. Renard allume son briquet à essence : la flamme est attirée par l’orifice. « Un courant d’air aspirant ! » confirme Renard. La flamme est soufflée par la force du courant d’air.

« Ça continue ! dit Aigle.

– Et ça doit être du gros derrière ! opine Renard.

– Je comprends que M. Leblanc tienne à cette désob’ ! poursuit Aigle.

– Oui, mais un lapin passerait à peine dans ce trou ! commente Mouche.

– Alors, où sont Wapiti et Panthère ? »

 

Quelque chose brille à deux pas, dans un creux de paroi : c’est du papier alu. Sur cet endroit sec sont restés un paquet de biscuits entamés et un morceau de tablette de chocolat dans son emballage ouvert. « Les Brun ! Ils en ont mangé encore après mon départ…, constate Renard. En tout cas, ils ont sacrément travaillé depuis ! » Renard explique que l’orifice élargi dans le fond de la tranchée ne faisait guère que la taille d’un gobelet quand il a quitté ses deux compagnons de désobstruction. « Ils ne peuvent pas être bien loin ! conclue le CP. – Alors, on va les chercher ailleurs ? ». Aigle marque un temps de silence ; le front soucieux, il garde son regard fixé sur l’orifice au courant d’air. Une belle « première » les attend ! Il approche une torche tout près de l'orifice: la lumière du faisceau se perd dans le noir.

 

Mais que sont devenus « ses » scouts ?

 

« Ils ont peut-être été se balader dans le Gruyère ? » suggère Mousse. Il s’agit d’un dédale de galeries labyrinthiques qui quadrille la grotte et où l’on accède à partir de la salle du Dinosaure, au cœur de l’itinéraire aménagé. Les « disparus » s’y sont-ils aventurés, pour le plaisir, avant de quitter la caverne ? Aigle ne retient guère cette hypothèse : après quatre heures de désobstruction au milieu de la nuit, faisant suite à une journée déjà bien chargée, l’on comprend mal un tel « détour » par le Gruyère, secteur totalement exploré et sans grand intérêt !

« On va retourner dans la partie aménagée, à la recherche de leurs traces ! commande le CP.

- Chic ! un jeu de piste ! fait Mouche, dans un élan puéril peu conforme à la situation.

- On y relèvera peut-être des traces de leurs pas ? envisage Renard. Boueux comme ils devaient l’être, leurs bottes ont dû en laisser ? ».

Le CP ordonne le repli. Mouche prend le reste des biscuits et du chocolat, en propose à ses camarades mais aucun n’en a envie. Le petit, quant à lui, se met à leur faire un sort ! « Mange pas tout ! Respecte les provisions, nom d’un chien ! » se fâche le CP. Mouche se renfrogne, vexé de la réprimande, croque un biscuit et un carreau de chocolat puis enfouis ce qui reste dans une poche de sa combinaison souillée de terre glaise…

 

La chatière en laminoir, bizarrement, est franchie sans difficulté. Rémi est passé en second, de crainte de rester coincé en queue de file. La diaclase qui aboutit au circuit touristique est parcourue à grandes enjambées. Rémi devance le groupe, soudain animé d’un regain de dynamisme.  Pour descendre le ressaut qui accède à l’allée bétonnée, il faut empoigner une arrête rocheuse afin de ne pas glisser. Au moment d’attraper la saillie calcaire, ce qu’il y voit dans le rond du faisceau de sa lampe le saisit d’épouvante. Il s’arrête net en étouffant un cri. Renonçant à s’accrocher à la lame de pierre, il perd l’équilibre, glisse et se retrouve sur le derrière au seuil du réseau des Soupirs, sur l'itinéraire touristique. La chute est douloureuse.

« Qu’est-ce qui t’arrive ? lance le CP à deux pas derrière Rémi.

- Touche pas la lame ! s’écrie le cul de pat’, touche pas la lame !

- ?

- Éclaire la lame ! Éclaire la lame !

- ?

- Non, plus haut ! »

 

Le CP obéit.

« Bon dieu ! » lâche-t-il sans retenue.

 

Aigle écarquille les yeux, tandis que son expression se fige.

« Qu’est-ce qu’il y a ? » s’enquiert Renard, demeuré en arrière et suivi de Mouche.

 

La lame calcaire, hérissée de la paroi comme un glaive, parfaitement sèche et blanche, est souillée, à hauteur de visage, par l’empreinte d’une main sanglante…

 

La suite ici...

 

 Appendice : un aperçu en images de ce que peut être un "Réseau des Soupirs" dans la galerie... de photos, sur ce clic!

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24/09/2015
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