Le sang du foulard

Le sang du foulard

Le Squelette de l'aven -Episode 23

Roman feuilleton inédit de Gérard Foissotte © 2018

L'épisode précédent est sur ce lien

Avertissement : les aventures de la patrouille des Choucas se déroulent avant 1962

 

 

A Paul-Jacques Bonzon et à ses Six compagnons

qui m'ont mis sur la piste de vraies aventures

 

 

 

 

Arthur

 

 

« Qu’est-ce qui se passe, qu’est-ce qu’il y’aaa... ? » fait une voix dans le kraal. Rémi, ayant soulevé la lourde toile qui ferme le marabout, alerte le scout infirmier. « Le boumian est parti ! ».

 

Wapiti Têtu a quelque mal à émerger de son sommeil ; appuyé sur un coude, l’infirmier-garde malade de la patrouille des Choucas se frotte les yeux pour constater la véracité de la nouvelle. « Il a dû aller pisser..., tente Wapiti en guise d’explication. – Ça fait une heure que j’appelle ! Aucune réponse... Il doit être loin ! ». L'heure de Rémi a duré tout au plus six ou sept minutes où il a interrogé la garrigue mais sa conviction est faite : l’enfant-chèvre ne se plaisait pas au camp des scouts.

– Non, il s’est tiré ! ...Je te dis qu'il s’est tiré !

– (Juron) Il est insaisissable le loustic ! ...Enfin, l’essentiel est qu’il s’en soit sorti !

– Tu crois qu’il n’est pas en danger ?

– De quoi ?

– Ben, l’intoxication, des problèmes, les conséquences... ?

– Des séquelles ? Je ne pense pas, il a très bien récupéré hier soir ; il n’a pas vomi, s’est pas plaint de maux de tête, et il s’est endormi comme un bébé... Dans la nuit, je me suis réveillé, j’ai éclairé son visage : il respirait normalement et dormait comme un loir ! 

– C’était quelle heure ?

– J’ai pas regardé ma montre, peut-être vers trois heures...

– Alors ? ...On fait quoi ?

 

L’ex-garde malade pense qu’il n’y a rien à faire. Néanmoins, en bon « second » de pat’, il veut en saisir le C.P. Rémi exerce des pressions vigoureuses sur les pieds d’Aigle qui forment bosses au bas du duvet ; le C.P. exprime une onomatopée intraduisible puis, Furet insistant avec ses massages agressifs, daigne se redresser un peu sur les coudes. Sa tête de dormeur que l'on dérange en plein rêve agréable fait face aux intrus avec sévérité ; ses boucles noires partent dans tous les sens, certaines esquissant de minuscules cornes de bélier et quelques duvets cotonneux évoquent des flocons de neige. On s’accorde pour opiner qu’il n’est pas utile de réveiller le reste de la patrouille et qu’il est plus sage de se recoucher...

 

...

 

« Ma cape ! » s’écrie Renard, furieux. L’enfant sauvage a quitté le camp en emportant la pèlerine du cuisinier et liturgiste. « C’est bien la peine de prêter ses affaires ! maugrée le garçon. – Voire s’il n’a pas volé autre chose ? poursuit Mouche. – Du calme, un peu de retenue, les scouts ! corrige le C.P. Disons qu’il l’a... empruntée, ta pèlerine ! Elle n’est pas perdue... On sait où la trouver ! – Ah ? parce que toi, tu vas oser te pointer à la Ferme du Pendu, et demander gentiment à la brute épaisse ‘Monsieur, vous voulez bien me rendre la pèlerine de mon copain ?’ – Et puis, observe Rémi, en faisant cela, tu vas faire massacrer le gosse ! – On avisera ! » rétorque le C.P. en se pinçant les lèvres. L’enfant sauvage n’a rien dérobé du kraal, au contraire, il y a laissé des poils de chèvre qui témoignent de sa nuitée au camp, accrochés à la couverture. « Au pire, on t’en paiera une toute neuve, la patrouille a un trésor de guerre, que diable ! – Elle a appartenu à mon grand frère et j’y tiens ! ».

 

Panthère et Mouche s’affairent à allumer un feu alors que les premiers assauts du soleil mordent le Lion et embrasent la crête de la Muraille aux choucas. On fait un brin de toilette et on « se met sur son trente-et-un », béret compris, avant de se rassembler en cercle pour le PDDM, afin d’être « présentables » (terme employé par Mouche ») à l’abbé Pradel, attendu d’un instant à l’autre. Le C.P. décide que la levée des couleurs se fera en présence de l'aumônier (« Bonne idée ! » s’est exclamé le liturgiste Panthère). Renard, avant le bénédicité, a fait une courte prière en invoquant la bienveillance de Saint Nicolas, protecteur des enfants et particulièrement des enfants maltraités, pour le jeune garçon de la ferme des Grands Cades. Son rétablissement après l’intoxication n'a pas été la seule requête, sa condition quotidienne, dont chacun a compris qu’elle est malheureuse, justifie une pressante intercession.

– C’est un enfant martyre !  déclare sans ambages le petit Mouche.

– Ne jugeons pas trop vite ! tempère le C.P.

– En tout cas, chez lui..., commence Wapiti.

– (Mouche le coupe) Mais ‘ils’ le battent, punaise !

– (Wapiti reprend) ...En tout cas, il ne doit pas être à la fête tous les jours !

 

...

 

« Martyre ? Peut-être que le mot est un peu fort ! » L’abbé Pradel a écouté avec attention l’étonnant récit de la patrouille, auquel chacun y a été de ses « détails » narratifs les cris 'd'outre-tombe', le sauvetage délicat, l'installation du garçon dans le kraal puis sa disparition. « Une chose est indubitable : c’est un enfant battu et mal aimé par un homme violent qui le hait. – Mais pourquoi ? s’interroge Panthère. Les autres marmots ont l’air d’être bien traités... ? – Ça, je crois pouvoir donner un semblant d’explications, mais c’est une affaire complexe et pour bien l’appréhender, il faut en connaître les fondements... ». L’aumônier, arrivé sur sa bicyclette au tout début du PDDM,  tend un quart pour se faire servir le café noir (très noir) que le petit Mouche s’est plu à préparer avec la grande cafetière historique. Renard lui distribue une tranche de pain et lui remet une boîte cylindrique en fer blanc qui contient de la confiture de prunes. On lui avance la motte de beurre. Le feu crépite amicalement et les choucas de la Muraille commencent à donner du bec en tournoyant au-dessus de la clairière, tandis que les choucas de Saint-Ange sont prêts à écouter avec une attention non feinte un récit dont ils ne doutent pas qu’il va éclairer bien des coins obscurs.

 

L’abbé Pradel, curé de Bidon en poste dans la paroisse depuis une quinzaine d’années, a baptisé l’enfant sauvage quand il avait trois mois, lequel était orphelin de mère, celle-ci ne survivant pas à la mise au monde du bébé - un accouchement qui s'était très mal passé. Son père, ouvrier agricole saisonnier qui se louait comme « journalier », gagnait sa vie tant bien que mal, allant de ferme en ferme au gré des travaux agricoles, tailles des vignes, fenaisons, moissons, vendanges, remplaçant des bergers malades, se déplaçant parfois très loin, notamment plus au sud, dans le Gard ou en Lozère ou Vaucluse. Quand il œuvrait sur la commune ou à proximité, il partait le matin en vélo et rentrait le soir dans la modeste bicoque qu’il habitait avec son petit garçon, non loin du village – un ancien cabanon de champ de vignes. Le garçonnet, prénommé Arthur, était gardé la journée par une mère de famille nombreuse du village, femme de grande piété. A six ans, l’enfant était inscrit à l’école communale de Saint-Remèze où il se rendait avec d’autres gamins du village, en voiture à cheval conduite par une autre mère de famille. Bien que taciturne et un peu sauvage, le gosse faisait montre d'une intelligence que son maître ne manqua pas de relever et obtenait des résultats des plus satisfaisants en classe. Bébé ou jeune écolier, Arthur était donc en pension chez la nounou durant les absences prolongées du père.

 

Les six jeunes scouts, silencieux, se fondent en un auditoire homogène où se disputent compassion et rage ; rage pour avoir prêté tant de mauvaises intentions au boumian et compassion pour son triste départ dans la vie...

 

...Arthur s’entendait plutôt bien avec les enfants de la nounou et jouait avec les gosses du village. Cependant, contrairement à ses jeunes semblables, il recherchait souvent la solitude, s’isolant chez lui quand son père était présent ou même chez la nounou, où il se protégeait de l’agitation de la maisonnée. Garçon plutôt réservé donc, rêveur, il passait de longs moments dehors à deux pas du cabanon paternel. « Combien de fois le voyais-je, depuis la route, accroupi penché au-dessus de ce que je savais être un nid de fourmis ou une taupinière. Selon son père, il savait s’occuper avec un bâton et un caillou une heure durant. Il aimait regarder des albums sur les animaux ou feuilleter page par page ‘Le Chasseur Français’ – son père était un excellent chasseur, comme d’ailleurs tous les paysans de la contrée... Depuis tout petit, il accompagnait son papa à la chasse ; celui-ci partait fusil à l'épaule seul ou avec son fils et participait aux battues au ‘gros’ qu'organisait la société locale. C’était aussi, il faut le dire, un grand braconnier et il emmenait souvent son petit garçon dans ses expéditions dans la garrigue ; grâce à cet apprentissage précoce, Arthur est devenu maître dans l’art de poser des collets ! Aujourd’hui, le bonhomme serait capable de se nourrir en toute autonomie en vivant de ses chasses avec seulement un bout de fil de fer en poche et une pierre de silex pour découper la viande et allumer du feu ! ».

 

Les qualités de trappeur de « l’enfant sauvage » suscitent une admiration spontanée chez les Choucas. La capacité du gamin à la crinière de lion et au gilet en peau de chèvre à se fondre dans la garrigue, à y séjourner sans les facilités de la civilisation, à investir le camp de la patrouille à la faveur des absences des scouts - que le gamin devait épier avec des ruses de sioux -, à endurer les coups d’un homme brutal, la détermination de « fuir » le camp scout sans crier gare et ce, après une intoxication par le monoxyde de carbone, éblouit les jeunes patrouillards de Saint-Ange. « Quel bon scout il ferait ! » déclare Mouche en faisant les yeux ronds. « Ses parents étaient de bons chrétiens, ne manquant pas la messe dominicale, hormis le père qui la sacrifiait quelquefois pour aller chasser dès l’aube... Tout bouscula à l'automne de ses huit ans, il y a six ans. – Il a donc quatorze ans, ce garçon ? s’étonne le C.P., en union de pensée avec ses frères scouts. – On dirait qu’il en a douze ! observe Rémi. – Oui ! Bien que débrouillard, agile et vigoureux, il est d’allure chétive, pas gras mais sa charpente est enrobée de muscles et de nerfs. Il a un retard de croissance mais sa force est bien celle de son âge et sa maturité reste précoce. – Mais pourquoi nous voler le squelette ? interroge Mouche. – Et déchirer notre marabout ? proteste Renard. – Et descendre dans notre aven du Furet ? veut savoir le second de pat'. – A la suite de votre visite, dimanche, j'ai beaucoup réfléchi à l'intérêt qu'Arthur pouvait prêter à ces ossements. J'ai la réponse ! Elle est dans ce qui s’est passé peu après la rentrée scolaire, au début d’octobre de cette fameuse année... ».

 

 

A suivre...

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10/12/2018
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