Le sang du foulard

Le sang du foulard

Feuilleton - Episode 21

Les Disparus de Baume Étrange

© Rémi Le Mazilier

 

L’épisode 20 c'est par ici !

 

XXI

 

Scout-grenouille

 

 

 

Peu avant midi, le propriétaire de Baume Étrange revenait du Pra où il avait été chercher son matériel de plongée. Déjà, quelques cordées de sauveteurs bénévoles descendaient les à-pics qui flanquaient le sentier des cascades entre l’esplanade et la grotte du Lac Vert – ce fameux sentier par où le père Arnaud avait apparu puis disparu… Aigle s'était proposé de participer aux recherches verticales avec Renard et Mouche, rencontrant un refus de M. Leblanc. « On est costauds en matière de rappel et de varappe ! » tenta de convaincre le CP. Le gérant des grottes, qui revendiquait une certaine responsabilité dans la disparition des deux scouts, ne voulait pas autoriser une nouvelle prise de risques aux Choucas. « Je comprends… » obtempéra le CP. Mouche se renfrogna un peu car il aurait tant voulu se laisser glisser sur mousqueton, à la verticale de la paroi calcaire (il adorait ça) ! Mais il eut une compensation : lui et ses frères scouts pouvaient assister à la plongée en siphon. « Heu…, fit Aigle en hésitant, je sais plonger aussi... et j’ai déjà plongé en siphon… - Tu veux m’accompagner ? répliqua M. Leblanc. D’accord ! Je demande à Chantal de descendre au Pra chercher mon deuxième scaphandre… » Mouche écarquilla les yeux d’envie : son CP allait plonger dans l’eau glauque de la salle du lac ; quelle aventure ! Et le gamin en oubliait qu’il s’agissait d’y trouver peut-être les cadavres de Wapiti et Panthère…

 

Robert Leblanc et Aigle enfilèrent les vêtements et les chaussons en caoutchouc noir, protections isothermiques fort utiles dans une eau à 12°. Robert attacha au mollet un poignard placé dans une gaine, fixa à un poignet un « profondimètre ». Il contrôla le bon fonctionnement des détendeurs et vérifia la pression des bouteilles d’air. Aigle lui parlait de ses débuts de plongeur, d’abord dans les calanques de Cassis, en camp scout, puis trois fois en siphons de grottes avec un spéléologue-plongeur expérimenté demeurant à Grenoble, au pied du massif du Vercors donc, si riche en rivières souterraines et siphons. Ne disposant pas de matériel, il ne manquait pas de saisir une occasion de plonger. « J’ai plongé une fois dans un siphon de La Luire, l’eau y fait… - Sept degrés ! » anticipa Robert. Le spéléologue-plongeur des grottes de Pré-les-Fonts connaissait la grotte de La Luire, située sur le plateau du Vercors, presque aussi bien que « sa » caverne aménagée ! 

 

Un porteur de caméra fit une intrusion derrière la buvette où se préparaient les plongeurs, au grand dam de Robert. « Non, non ! Fit-il, ne filmez pas ! »  L’équipe de la télévision allait diffuser les images au journal du soir ; on peut imaginer l’angoisse que cela aurait pu provoquer chez les proches des scouts.

 

Rémi et Mouche transportèrent du matériel complémentaire destiné à l’opération. Les garçons portaient chacun un sac cylindrique « de l’armée américaine », en épaisse toile de bâche couleur kaki, contenant une grosse bouteille d’air ; ils éprouvaient quelque fierté à demeurer aux premières loges d’un fait divers « à suspense » que toutes les radios couvraient d’heure en heure et qui faisaient la « une » des journaux télévisés ! Une sorte de pressentiment les dissuadait de croire « au pire » … Aigle avait la conviction intime que ses frères scouts étaient bien vivants.

 

Depuis l'amorce de la décrue, le niveau du lac avait baissé de plus d'un mètre mais plusieurs jours seraient nécessaires avant que le plan d'eau regagnât sa cuvette habituelle. Déjà, l'on n'entendait plus les grondements sinistres qui avaient tant impressionné les Choucas. La salle était illuminée par les ampoules de l'installation électrique en place et de puissants projecteurs amenés pour les secours renforçaient l'éclairage. Inondée de lumière, la salle du Lac était splendide. Les voûtes se creusaient, s'enrichissaient d'ornements nouveaux et les couleurs ocres, nombreuses dans cette partie de la cavité, revêtaient une intensité surprenante. Dans ce décor féérique, sous le plafond garni de lames acérées, des voix se croisaient et résonnaient. Le canot pneumatique que l'on avait posé sur le lac provoquait un léger clapotement.

 

Rémi et Mouche resteraient dans l'embarcation, à laquelle chacun des plongeurs serait relié par une cordelette - ce « cordon ombilical », fermement maintenu par les scouts « marins » serait le moyen de communication entre les garçons du canot et les hommes-grenouilles. Les consignes de M. Leblanc étaient précises : notamment, Aigle nagerait constamment à ses côtés. Sur la plateforme, les sauveteurs ainsi que l'enfant Xavier, accoudés à la rampe, commentaient les ultimes préparatifs.


Le cul de pat' confia à Mouche : « Je n'aimerais pas être à leur place! - De qui ? Des noyés ? demanda le petit Mouche, sans se rendre compte de l'incongruité de sa question. - Non, des plongeurs !  »

 

Sur la plate-forme de béton, Robert Leblanc et Aigle chaussèrent les palmes, se sanglèrent d'un scaphandre à deux bouteilles, bouclèrent une ceinture de lestage et ajustèrent le masque. Chacun était équipé de deux détendeurs, l'un pour suppléer à une panne éventuelle de l'autre. Ils crochetèrent à leur ceinture la cordelette de sécurité qui les lierait au canot pneumatique via Rémi et Mouche, puis ils enjambèrent la balustrade métallique. Ils avancèrent l'un après l'autre sur un rocher immergé pour s'approcher des parties profondes. Sous le feu des projecteurs posés sur trépieds, la main plaquée sur leur masque, de l'eau jusqu'à la poitrine, Robert Leblanc puis Aigle s'enfoncèrent tête en avant dans le lac. Les deux torches électriques de leur casque spécial projetaient deux faisceaux étroits et parallèles à travers un liquide verdâtre peu engageant. Les bouteilles d'air jaune orangé se décomposaient dans l'épaisseur trouble. Les témoins de ce spectacle singulier, campés sur la plate-forme, brusquement sensibles à la fraicheur de la grotte, cessèrent de parler, de bouger, comme soudainement saisis d'une torpeur irrépressible. Quelques uns tremblaient un peu - agités d'un frisson dont on ne savait s'il était dû au froid ou à une vive émotion. , dans ces eaux sombres, se trouvaient peut-être les corps de deux noyés, deux jeunes garçons épris d'aventures et que l'aventure aurait pris...

 

Assailli par cette pensée, c'était bien d'un frisson d'horreur que Rémi fut secoué ; Wapiti et Panthère s'invitaient dans son esprit - Wapiti avec ses cheveux frisés et ses yeux rieurs bleu cendré, sa grosse voix, ses mains larges et Panthère avec son abondante chevelure ébouriffée qui accentuait sa minceur impressionnante...

 

Les deux plongeurs se propulsèrent rapidement au fond du lac (à cet endroit, il devait y avoir sept ou huit mètres de hauteur d'eau).  Silence persistant sur la plate-forme. Clapotis sonores du canot. Quelques chauves-souris virevoltèrent sous les plafonds en poussant des cris aigus puis disparurent dans les galeries voisines. Des raclement de gorge discrets. Quelqu'un qui se mouche.

 

Le fort courant de crue avait soulevé un brouillard de particules de terre. Des myriades de points minuscules brillaient en dansant devant les plongeurs bien que la rivière se fut un peu éclaircie depuis la veille. La galerie noyée de la rivière souterraine formait une tache émeraude graduellement foncée vers le centre. Aigle serrait de près Robert, lequel connaissait le moindre recoin de « son »  lac ; mais la visibilité était mauvaise et le décor n'était pas celui que le propriétaire de Baume Étrange avait l'habitude de visiter avec aisance. La masse d'eau qui les environnait était hostile et oppressante. Leur solitude, partagée, était totale - malgré le fil qui les reliait à la surface. Aigle s'efforçait de penser à Mouche auquel il était lié par la cordelette, à ses rires, à ses facéties... Enveloppé de choses invisibles, leur seule compagnie rassurante était le bruit régulier et amplifié des détendeurs sous l'effet de leur propre respiration. Englué dans cet univers silencieux aux teintes vertes et bleutées comme dans un rêve, le CP des Choucas dut lutter pour se concentrer sur les impératifs de la mission. Avec les pinceaux lumineux de son casque, il balaya le plancher bosselé, tout enduit de glaise, qui descendait en pente douce vers le cœur sombre du siphon. La silhouette-grenouille toute proche de son compagnon de plongée lui donnait du ressort. Aigle se sentait fort, courageux, digne d'avoir été promu coéquipier de M. Leblanc. Il était aussi fier d'être scout et cette  « qualité » accentuait son désir de bien faire ; de plus, il s'agissait ici de résoudre un mystère qui concernait directement, de plein fouet, les scouts dont il était chef de patrouille ! Il ne souhaitait évidemment pas les retrouver dans ce chaudron aquatique mais cette inspection du lac contribuerait à éliminer l'une des dramatiques hypothèses.

 

Nul corps ne gisait dans cette artère où circulait le sang de la montagne. La puissance du courant, au plus fort de la crue, aurait empêché une masse inerte de s'enfoncer plus avant dans le tunnel. Robert fit un signe que Aigle comprit spontanément : il fallait entreprendre désormais l'exploration de la partir la plus vaste du bassin. Le sol était irrégulier, encombré de proéminences, parsemé de rochers détachés du plafond en des temps reculés, totalement recouvert d'une couche épaisse de boue collante. Il fallait nager lentement, tout près du sol et à l'horizontale. Les pinceaux lumineux se heurtaient à l'opacité de l'eau. Les cordelettes qui montaient vers le canot étaient leur unique repère ; les filins blancs disparaissaient dans le brouillard aquatique mais suffisaient à informer les plongeurs sur la direction de leurs déplacements, le canot demeurant stationnaire. Robert Leblanc se remémorait la place de chaque particularité du relief par rapport à une autre ; le bassin était uniformément nappé de terre rougeâtre mais la forme d'un rocher ou l'inclinaison d'une dalle le renseignait exactement sur leur progression. Le CP des Choucas percevait mentalement, comme par transmission de pensée, les certitudes de son guide averti. Grâce à cela, il s'adapta rapidement à l'environnement hostile où il était intrus. Il commença même à trouver du plaisir à cette plongée au parfum de mystère...

 

L'exploration apporta la conviction que personne ne gisait au fond du lac, dans sa partie la plus vaste mais une « crevasse » et une « fosse » latérales restaient à inspecter. Aigle s'en souvenait ; ce secteur plus escarpé du lac-siphon se situait... sous l’Œil du Diable.

 

La suite, c'est par ici !

 

 

 



18/04/2016
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