Le sang du foulard

Le sang du foulard

Le Squelette de l'aven - Episode 27

Roman feuilleton inédit de Gérard Foissotte © 2018

L'épisode précédent est sur ce lien

Avertissement : les aventures de la patrouille des Choucas se déroulent avant 1962

 

 

A Paul-Jacques Bonzon et à ses Six compagnons

qui m'ont mis sur la piste de vraies aventures

 

...et à mon fils !

 

 

 

 

Une belle « première »

 

 

 

« Arthur a voulu récupérer ce qui restait de son père ? traduisait Rémi.

– Pensant que les fragments de squelette étaient les siens ? précisait Panthère.

–...Et nous rend coupables de violer ce qui serait son tombeau ? déplorait Renard.

–  C’est horriiible ! s’étranglait Mouche.

–  C’est glauque ! dit Wapiti.

– Tout est clair à présent ! reconnaissait le C.P.

– Ce qui explique son retour au camp et le fait qu’il se soit désintéressé de la poterie ! ajoutait Rémi.

–  ...La gourde de quatre mille ans !  voulut préciser Mouche.

–  Les lacérations dans la toile du marabout, c’était par vengeance...

– Par haine...

– Non ! Ne parle pas de haine, Stéphane ! rectifiait le C.P. C’était plutôt par rage, une rage naturelle et légitime !

– Ça explique pourquoi il nous épiait comme un sioux..., déduisait Renard.

– Comme un sioux ! reprit le petit Mouche, définitivement admiratif devant l'agilité et les ruses de l'Enfant Sauvage. »

 

La patrouille, en parfaite intelligence avec l’abbé Pradel, écartait l’hypothèse que le squelette de l’aven fût celui du braconnier du cabanon des Vignes. « Mais le boumian, lui, devait le croire ferme ! assurait Wapiti. – Dis pas boumian, reprit Mouche, c’est méchant ! – Pardon !... 'Arthur'. Tu as raison moustique ! – Yug ! fit Rémi. – Yug ? s’étonna l’aumônier. – Heu..., c’est un personnage de roman scout ! – Disons, d’un roman d’une collection scoute ! crut bon de corriger Rémi. Une sorte d'enfant sauvage de la préhistoire.* »

 

Mais pourquoi le garçon de la garrigue était-il descendu dans l’aven du Furet ?

 

– Parce qu’il a été intrigué qu’on y trafique !

– Ou qu’il s’est dit que peut-être les ossements du Poulet...

– Du Poulet ? se gaussa Wapiti. L’aile ou la cuisse ? (rires de quelques-uns)

– Pas drôle, Stéphane !

– Maigre comme il est, il n’a eu aucune difficulté...

– Et il ne pouvait pas savoir que l’explosion avait dégagé des gaz toxiques...

– C’est sûr qu’il a dû tout voir de notre désob’ à la dynamite...

– Et entendre !

– Bon, alors on fait quoi ?

– Quoi, quoi ? Les activités du jour ?

– Mais non, gros benêt ! On fait quoi pour ce môme ?

 

L’aumônier opina. Il apparaissait inutile de courir à sa recherche et inopportun de se rendre au mas des Grands Cades. Arthur y était peut-être déjà et ce n’était pas vraiment du ressort de la patrouille ni du curé de Bidon d’intervenir. « Moi, je veux pas recevoir des plombs dans les fesses ! » prévint Mouche en ponctuant d'une belle moue dont il avait l'exclusivité. L’abbé Pradel exposa son intention d’alerter l’Assistance Publique dans les prochains jours, « l’enfant sauvage » devant être, de l'avis de tous, libéré de la coupe de la brute du Pendu ; une procédure serait probablement diligentée par l’administration et c’est certainement avec deux gendarmes que l’on irait demander des comptes au couple des Grands Cades. « Ma paroissienne ne manque jamais l’office dominical ; elle sera au village dimanche, et je l’aborderai à ce sujet. » annonça le prêtre avant d'inviter la patrouille à partager une prière pour le malheureux Arthur. Puis, le cas du garçon de la garrigue fut l’objet d’une réflexion chrétienne collective où l’importance de la famille, les responsabilités des parents, le devenir des enfants et leurs actes nourrirent les échanges.

 

...

 

 

Un rapide repas froid fut pris dans la clairière autour des braises à demi-éteintes, peu après le départ de l’aumônier. Le « grand jeu » de l’après-midi serait de retrouver le « terrier de lapin » du Bois aux Fées et de l’explorer. La topographie du plateau justifiait de rassembler échelles et cordes car la probabilité était grande que l’orifice étroit « donne » finalement sur un puits. Cette perspective réjouissait tout le monde puisqu’il était temps de « se changer les idées » et c’était avec un enthousiasme non feint que les choucas de la clairière du Lion préparèrent avec soin le « maté ». Mouche et Rémi (celui-ci en bon furet fouineur qu’il était) prévoyaient « une belle première ». Et pourquoi pas, comme l’espérait Mouche, un « nouveau Marzal » ! D’ailleurs, Rémi se persuadait (et tentait d’en convaincre ses frères scouts) que « cette histoire de chien et de braconnier disparus » était en quelque sorte de « bon augure » ... Wapiti imaginait même que, si « nouveau Marzal » il y avait, la fortune des Darbousset serait faite, puisque le « trou » s’ouvrait sur leur terrain ! « Ils pourraient même nous verser un pourcentage sur les recettes ? suggéra Mouche, toujours pragmatique. – Tu es un abominable grippe-sou ! le tança pour rire le provocateur Wapiti. – De toute façon, c’est moi le régisseur et trésorier de la patrouille. C’est donc à moi que reviendra de fixer le pourcentage ! » s’amusa à rappeler le C.P.

 

Transportée en vélo jusqu’au Bois aux Fées à proximité du dolmen, la patrouille rangea les bicyclettes en les dissimulant sous une épaisse grappe de buis. Cordes et échelles convenablement « roulées » avaient été réparties dans et sur les sacs à dos et porte-bagages. Les scouts-spéléos avaient quitté le camp en « tenue d’explo », casque sur le crâne, bombonne d’acétylène à la ceinture. « Pas facile de pédaler avec des bottes aux pieds ! » s’était plaint le grincheux Mouche. Personne n’avait eu envie de se « coltiner » la rosalie ! D’ailleurs, tous souhaitaient se dépenser physiquement, question de se remettre... en selle, en quelque sorte (et justement) ! Contrairement aux annonces optimistes de Rémi et Mouche, le « terrier sans fond » se terrait (si j’ose dire) dans la garrigue avec beaucoup de ruse (de sioux ? dirait Mouche) pour ne pas être investi par les « sondeurs d’abîme » ... On mit plus de quarante-cinq minutes (au vu des notes du journal de Furet) pour localiser le semblant de « barre rocheuse » qui surplombait la « lucarne » mystérieuse. Sous le muret naturel, un abondant conglomérat de buis et de salsepareille, mêlé ici et là avec de tout jeune mais piquants genévriers, défendait donc le trou du lapin, le terrier sans fond, l’aven Marzal II ! « Aaah ! Nous y sommes ! » jubilait Mouche, applaudi vigoureusement par Rémi, « l’inventeur » de ce futur nouvel aven. « Allez ! » lança le cul de pat’, impatient d’en découdre avec « son » aven Marzal ! Les robinets (« pointeaux ») des acétylènes furent actionnés pour permettre à un lent et régulier filet d’eau de choir sur le carbure. Seul Wapiti, grand bricoleur devant l’Eternel, émule et élève de Hibou paisible, possédait sur sa « frontale », tout près d’un réflecteur primitif (en fait, un carré de fer blanc), la tête d'un allume-gaz de gazinière : par une simple pression sur une petite patte d’acier, une étincelle jaillissait d’une pierre à briquet et enflammait le gaz. L’odeur exquise (enfin, c’était l’avis des choucas) du gaz éclairant (toxique en cas de mauvaise aération), commença par habiter l’espace de garrigue où se trouvait la caverne fabuleuse, chassant momentanément les odeurs de thym, de romarin et de lavande. On décida que Mouche serait le premier intrus du terrier sans fond ; n’était-ce pas lui, animé par le charitable désir de libérer le fauve de Bourgogne, qui « initia » la découverte du trou ? Par prudence, dans l’ignorance de ce qui « se trouvait derrière », le petit spéléologue, très excité, dut se ceindre avec le nœud plat de rigueur de la corde d’assurance, une « dix millimètres » qui serait solidement freinée par le C.P. Un « puits » peut toujours attendre l’explorateur à deux pas d’une « entrée » horizontale sur un palier plus ou moins glissant ou instable. Le cul de pat’ irait en second. Mouche-pas-touche ôta son casque, se mit à plat-ventre, le passa devant lui dans la lucarne et à bout de bras. A peine eut-il entamé l’obstacle, alors que ses jambes fluettes voyaient encore le ciel bleu de la basse Ardèche, qu’il poussa un cri d’émerveillement : « Oooh ! Que c’est grand ! ». Ses frères scouts se tassaient autour des jambes bottées, à l’affût de la suite du compte-rendu...

 

Le jeune garçon, dont la flamme de l’acétylène inondait de lumière ocre les premiers plans du souterrain naturel, avait face à lui... un « énooorme » (sic) vide ! Si la voûte ne s’élevait que légèrement au-dessus de son crâne blond, la « suite » de l’excavation s’ouvrait sur un grand noir, « sans limite » (sic), et l’air frais qui caressait ses pommettes roses et déjà un peu poussiéreuses promettait, sinon un Marzal, au moins un vrai gouffre ! Le plafond calcaire partait en remontant un peu au-dessus d'un abîme, une sorte d'immense bassin d'obscurité. « Tu vois quoi ? s’impatientait Wapiti. –  J’en ai plein les yeux ! répondit le moustique. –  Mais encore ? insistait Rémi. – C’est magnifique ! –  Quoi donc, bon sang ? pressait Renard. – Du noir ! beaucoup de noir ! un noir magnifique ! »

 

A suivre...

sur ce lien !

 

 

 

 

 

Lexique

 

 

Glauque : sinistre

Se gausser : (rappel) se moquer

Tancer : (rappel) réprimander

La rosalie : (rappel) la charrette de patrouille (terme d'usage chez les scouts)

Diligentée : du verbe 'diligenter' qui signifie "mettre toute son activité, son zèle à faire quelque chose" (Larousse)

(Sic) : (rappel) placé entre parenthèses, "sic" signifie que la phrase ou portion de phrases (entre guillemets ou non) est une citation sans aucune modification

 

 

 

Référence

 

 

Yug :  (rappel) roman écrit par Guy de Larigaudie (1908-1940). Première édition par J. de Gigord, collection "feu de camp" 

 

 

 

 ROND REFLECTEUR.JPG
"Seul Wapiti, grand bricoleur devant l’Eternel, émule et élève de Hibou paisible, possédait sur sa « frontale », tout près d’un réflecteur primitif (en fait, un carré de fer blanc)..." La "frontale" de Wapiti ressemblait à celui qui équipe ce jeune spéléologue. (Photo de G.Foissotte)

 

 

 

 



17/01/2019
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