Le sang du foulard

Le sang du foulard

Le squelette de l'aven - Episode 5

Roman feuilleton inédit de Gérard Foissotte © 2018

L'épisode précédent est sur ce lien

 

Episode 5

 

La « chose »

 

 

Le camp des choucas était en émoi ! Les garçons faisaient rond autour d'un Wapiti que l’éclairage des lampes de poche rendaient plus blafard qu’il n’était. Hibou avait gagné la lisière de la clairière, côté nord, fouillant à distance de ses yeux perçants et scrutateurs les feuillages qu’il incendiait d’une puissante lampe torche, en toute sérénité. Qu’avait donc vu Stéphane-l’Ardéchois alias Wapiti ? Des frissons agitaient son corps massif de tout son long et, pour mieux attester de son trouble, il exhibait ses deux « grosses paluches », horizontalement et paumes vers le bas, pour que chacun de ses frères scouts en constatât les tremblements – lesquels lui donnaient des allures d’alcoolique en manque de vin.

 

« Des yeux brillants comme du cristal, tout entourés de blanc, avec une tignasse de poils noirs… Et des dents…, ah ! des dents… ! Une vraie mâchoire de loup-garou, je vous jure ! ». Les autres choucas, vivement impressionnés par ce récit, demeuraient sans mot dire, totalement acquis aux révélations du second de pat’. « Quand j’ai crié, la ‘chose’ a hurlé plus fort que moi en secouant les branches de buis qui nous séparaient… Désolé, mais j’ai pas cherché à faire la causette ! – Un sanglier ? – Un chien sauvage ? – Un loup ? » risqua finalement le petit Mouche, conscient de l’incongruité de son hypothèse puisque de loups il n’y avait point en France en ce temps-là.

 

Hibou paisible, à la lisère de la clairière, lança un appel timoré, qui donnait à rire, en direction de la garrigue entièrement fondue dans l'obscurité : « Y a quelqu’un ? ». Wapiti s’autorisa à observer, dans le cercle confidentiel, que « la chose » n’allait certainement pas  répondre à Hibou. Le parrain de la patrouille regagna le centre de la clairière pour se joindre au groupe : « Cette ‘chose’ a eu aussi peur que toi, Stéphane (Le fait que Jacques Maurice ne nommait pas le garçon par son 'totem' trahissait quelque trouble). Je pense que l’on peut maintenant dormir sur nos deux oreilles… - Et si on faisait une veille par quart ? suggérait Panthère. – Hum ! Cela ne me paraît pas vraiment nécessaire mais…, si le cœur vous en dit ?  Voyez votre C.P. ! ». Les scouts posèrent leur regard sur Aigle fonceur. Il fut accepté que, leur parrain dormant à l’extérieur, tout près de la tente cette-fois-ci, la patrouille ne risquerait rien. « Garde ton poignard à portée de la main ! » enjoignit Mouche, le plus sérieusement du monde. On s’abreuva de l’eau des gourdes, tiède, comme pour se revitaliser et deux garçons « escortèrent » Wapiti, dans le sens opposé à l’endroit de « la rencontre », afin qu’il puisse satisfaire à un besoin qui redevenait pressant ; les fourrés à proximité du Lion feraient l’affaire…

 

La patrouille ne se réveilla que fort tard (pour des scouts, cela s'entend), alors que le soleil éclairait largement la clairière, grimpant déjà sur les rochers de la muraille. Un ciel uniformément bleu augurait à nouveau d’une belle et chaude journée. Des choucas bien en voix faisaient des rondes au-dessus du camp. Hibou avait allumé du feu pour chauffer l’eau du petit deuj’ (le fameux « PDDM »). Déjà, la grosse boîte métallique de lait en poudre Quick-lait et une boîte de « déjeuner chocolaté » Banania trônaient sur une pierre plate. Hibou avait descendu de Saint-Ange un gros pain de campagne, tout rond et bien doré, qui se conserverait quelques jours. Il avait ouvert la boîte de confiture d’abricots. Aucun choucas ne fut surpris de le trouver paisiblement assis, tirant sur sa pipe, créant de jolies volutes bleues qui s’associaient en justes noces avec la fumée du foyer, aux volutes moins délicates et qui, elles, prenaient à la gorge. Hibou s’était déjà fait du café. Maniaque sur ce chapitre, il l'avait « passé » dans une énorme cafetière en fer blanc venue de sa grand-mère, ancienne tenancière d’un café-restaurant de village. Cet accessoire précieux, désormais acquis à la patrouille de par la volonté du parrain, était l’instrument de batterie de cuisine le plus aimé des choucas : sa forme pittoresque, son « âge » vénérable (et tout ce qu’elle avait forcément vécu dans sa vie de cafetière), en avait fait une sorte de mascotte. Rémi, alias Furet rêveur, s’en était même inspiré pour inventer de courtes histoires… de cafetière, « qui avait plein de choses » à dire tant elle en avait rempli des tasses de gens de toutes sortes – des gens bons et des gens méchants, des paysans et des voyageurs de commerce ! Le boute en train Mouche avait même soufflé au nouveau Troubadour de monter un petit spectacle théâtral de veillée avec la cafetière pour héroïne... « Tu seras la cafetière ? » avait rétorqué Rémi, malicieux. On savait que Rémi était en train de murir un poème qui chanterait les mérites de la cafetière.

 

 

Après le PDDM, après la vaisselle de la veille et du matin puis une toilette à « la salle de bain » (entendez par là : le coin du réservoir), la patrouille explora attentivement l’espace « maudit » où le loup-garou s’était « produit ». Rémi, plus furet que jamais, fit une découverte dont l’intérêt n’échappera pas au lecteur : une minuscule touffe de poils de chèvres ou de renard restait accrochée à une branche de genévrier. La preuve était donc acquise : le loup-garou était bien « une bête » ! Wapiti restait dubitatif : « Une bête énorrrme, alors ! » (en roulant sur les « r »). Nulle trace de « pattes » ne pouvait être inscrite sur le sol constitué de cailloux et de pierres plates. « Oui, mais le cri ? protestait Wapiti têtu. – C’était comment ton cri ? » s’enquérait Panthère, prompt à bondir sur ce détail. Wapiti imita, non sans que cela n’amusât la patrouille, et avec une grimace adaptée et de gros yeux ronds, un hurlement qui pouvait aussi bien être celui d’un chat hystérique ou d’un renard enragé. « En tout cas, pas d’une chèvre ! » ironisait Panthère. Furet, le Sherlock Holmes du jour, devait cesser de rêver à une biquette sauvage. Dont acte !

 

 

La matinée fut sacrifiée au déchargement de la deudeuche et au montage du marabout que, nous le savons, les choucas aimaient dénommer « le kraal » ; la grande tente carrée, ancienne militaire de carrière réformée, usée jusqu’à la corde, forte de ses nombreux « pansements » (comme disait Mouche), pièces rapportées pour en boucher les trous, abriterait, comme les étés précédents, matériel, provisions et le drapeau national une fois descendue du mât. Hibou paisible se moquait un peu de ce « faux » kraal car, dans la tradition scoute, ce lieu un peu « sacré » était un espace de réunion pour y tenir « le conseil » et « la cour d’honneur » - deux institutions qui « gouvernaient » une unité, une troupe ou une compagnie. Evidemment, pour la patrouille libre du Choucas, qui ne comptait que six membres, cet « organigramme » n’avait pas d’existence effective ! On gardait néanmoins le terme de « conseil » (Mouche lui préférait « grand conseil ») lorsqu’il s’agissait de rassembler la patrouille pour y débattre et prendre une décision collective jugée « capitale »... Le marabout fut dressé au nord de la clairière, soit à l’opposé du Lion dont il convenait de respectait le territoire. Quelques-unes de ses cordes avaient été nouées à des arbustes et grosses pierres. Une fois la toile fixée, Mouche s’empressa d’y accrocher sur le devant, au-dessus de la porte, l’étendard vert croisé de blanc et à croix potencée rouge ; le mât, simple, porterait le drapeau tricolore. Tout comme au camp de Pré-les-Fonts, Hibou paisible, grand bricoleur devant l’Eternel, s’appliqua à équiper  des poulies et drisses nécessaires le tronc du jeune arbre, correctement écorcé par Wapiti et Panthère.

 

Le repas de la mi-journée avait été préparé sur le tripatte tout neuf, rapidement installé près du Kraal. La chaleur brûlante du zénith, que la végétation de la garrigue ne parvenait pas à atténuer, justifiait que l’on évitât d’allumer un feu ! Certes, la grosse bouteille bleue de gaz butane, campée là sur les touffes d’herbe, n’était pas esthétique et contrariait passablement Rémi que Wapiti tentait de consoler : « Il faut t’en remettre, le cul de pat’ ! ». A vrai dire (et on en aura confirmation plus loin), cette installation à destination culinaire ne plaisait à personne !

 

En fin d’après-midi, le camp étant monté et le mât érigé (une pioche apportée par Hibou rendit son petit service pour cette opération essentielle), on décida qu’il était temps d’aller dire un petit bonjour (ou plutôt un petit bonsoir) à l’aven du Poulet ! Le trou était dans l’état où on l’avait laissé au printemps. Des ronces et quelques autres jeunes feuillus en encombraient un peu l’orifice. Il y avait donc trois mètres « de fond », en ce « jour Un » du camp d’été. « Personne est venue creuser ! se réjouissait le petit Mouche. – Faut dire qu’il faut sacrément être motivé ! observait Renard. – Une belle « première » qui nous attend ! » poursuivait Panthère. L’aven se situait à quelque cinq cents mètres du camp. Il fallait marcher dans la garrigue sur un sol partiellement « lapiazé » (c'est-à-dire, pour les non initiés en karstologie, où la roche calcaire, compacte, était ravinée de rigoles et crevasses dues à l’érosion). L’orifice s’ouvrait en terrain totalement découvert sans le moindre ombrage : la promesse d'un enfer sous la canicule ! Pour remonter le seau contenant les déblais ou les rochers solidement ficelés et faciliter la descente dans l’aven, on accrocherait une corde au tronc d’un arbuste qui avait la bonne idée d'être présent à quelque cinq mètres du trou. Hibou insistait (c’était un rappel car de cela il avait été question au repaire du 12 de la cote St-Martin), pour qu’un étayage « dans les règles » fût mis en place dès que nécessaire : l’obstruction était un « bouchon » de cailloux et grosses pierres, voire de très gros blocs, susceptibles d’éboulements... Dès le lendemain matin, on irait récupérer des chevrons à la vieille ruine des Darbousset. « Ça fera très bien l’affaire ! » avait opiné Hibou.

 

Le soir, à la veillée et à la demande générale, le nouveau troubadour et le boute en train improvisèrent quelques scènettes où il était question d'une rencontre hilarante entre un loup peureux et une chèvre hargneuse. Wapiti, qu'une sorte de sixième sens titillait (mais peut-être n'était-ce qu'une crainte légitime), se retournait fréquemment vers la lisière nord de la clairière pour s'assurer que nulle « chose » ne les épiait. 

 

En fait, mais cela, il ne devait l'apprendre que beaucoup plus tard, les hautes flammes du feu de camp brillaient aussi, par éclats fugitifs, dans deux yeux « couronnés de poils »  tapis silencieusement derrière buis et genévriers...

 

A suivre sur ce clic...

 

 

BERNARD LAPIAZ.jpgC'est sur un « lapiaz » semblable à celui-ci (ici, dans le massif du Vercors)

que Mouche a trouvé l'aven du Poulet...

 

 



31/08/2018
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