Le sang du foulard

Le sang du foulard

Le Squelette de l'aven - Episode 21

Roman feuilleton inédit de Gérard Foissotte © 2018

L'épisode précédent est sur ce lien

Avertissement : les aventures de la patrouille des Choucas se déroulent avant 1962

 

 

A Paul-Jacques Bonzon et à ses Six compagnons

qui m'ont mis sur la piste de vraies aventures

 

 

 

 

Chrysalide

 

 

L’enfant sauvage gisait sans connaissance sur le plancher d’éboulis et ses mains tremblaient comme celles d’un vieillard atteint de quelque handicap sénile et ses lèvres s’agitaient comme quand on frissonne. Rémi souleva les paupières du garçon, découvrant des yeux d’un noir profond, parfaitement assortis à ses cheveux couleur de jais, étincelantes perles d’anthracite sur des écrins de nacre. Quelque chose d’intense habitait ces yeux, une énergie intérieure, une volonté de vivre et d’être. Intuitivement, le cul de pat’ devinait que le boumian s’en sortirait, que l’enfant couché sur la pierraille avait un avenir devant lui... Rémi se sentait investi d’une noble tâche que lui confiait la Providence. Cet enfant sauvage, peut-être à l’agonie (l’asphyxie par le monoxyde peut intervenir en moins d’une heure), survivrait grâce aux secours de la patrouille et lui, le cul de pat’, y aurait contribué. Sur le côté et en chien de fusil, l’enfant était en « position de sécurité », le C.P. ayant corrigé la façon dont le corps gisait sur les pierres avec la tête aux longs cheveux noirs orientée la bouche vers le sol. Aigle avait contrôlé la respiration de la victime et constaté l’inutilité d'une ventilation par bouche-à-bouche. Rémi écarta du thorax l'étrange gilet en peau de chèvre qu'une simple ficelle resserrait à la ceinture puis déboutonna la chemise et posa une main à plat sur la poitrine de l'asphyxié ; le cœur battait la chamade. Il prit le poignet gauche du garçon et lui imprima épisodiquement de légères pressions qu’il voulait rassurantes, pensant que l’enfant y serait sensible dans un regain de conscience. Sans quitter la victime, le scout-spéléologue jeta machinalement un œil sur le bas de la diaclase, là-même où l’explosif avait broyé les lèvres de la fissure. L’excavation s’en était trouvée élargie, pas suffisamment cependant pour être franchie même par un jeune enfant, mais on pouvait espérer « forcer » cette étroiture en en  détachant les morceaux fracturés. En surface, Wapiti et Renard s’en étaient allés chercher au camp deux couvertures, l’une pour envelopper la victime et l’autre pour fabriquer un brancard de fortune – l’utilité de ces accessoires avaient été oubliés jusqu’à ce que le C.P., réoxygéné et libéré de sa torpeur, y pensât. Le sang-froid reprenait le dessus après la vague de panique. Les coursiers devaient aussi ramener deux longues branches suffisamment solides pour le brancard improvisé – un petit stock de bois apprêté pour la construction d’une « table à feu » fournirait ces éléments.

 

 

Les minutes s’écoulaient, interminables, durant lesquelles le C.P. et Mouche échangeaient quelques mots avec Furet mais parcimonieusement car le silence paraissait plus approprié ; enfin, des éclats de voix autres provinrent aux oreilles de Furet. Il entendit les paroles, haletantes, de Wapiti, Panthère et Renard, essoufflés d’avoir couru sur les lapiaz. « Voilà les couvertures ! – Et les barres ! – Et la corde avec un casque.  – Passez-moi une couverture... ». Le C.P. la jeta dans la cavité, que réceptionna le cul de pat’ avant d’en couvrir l’enfant sauvage. « Il respire toujours ? s’inquiéta le C.P. – Il respire ! rassura Furet. Sinon, je lui aurais fait le bouche-à-bouche et un massage cardio-pulmonaire ! ». Le cul de pat’ était fier de se déclarer compétent pour la réanimation d’un asphyxié, car il n’avait encore jamais pu mettre en pratique son apprentissage des premiers secours. « C’est bien ! » félicita le C.P. Panthère se glissa dans la lucarne puis attrapa l’extrémité de la corde que lui tendit le C.P. La couverture était maintenue serrée autour du corps, les bras à l’intérieur, par les ceinturons « scouts » dont Wapiti et Aigle s’étaient défaits. Rémi sangla le casque en réglant la jugulaire sous le menton de l’enfant sauvage, quelque peu gêné par l’épaisseur de sa chevelure. Aidé du cul de pat’, il mit l’enfant sauvage sur pieds et le ceignit de la corde, solidement bloquée avec un nœud en huit. Le « boumian », le corps lâche comme un mannequin de chiffon et bien qu’il ait repris connaissance, s’abandonnait aux sauveteurs, docile tel un agneau malade. Les grands yeux ouverts de l’enfant sauvage, qu’une lampe torche électrique transformait en étoiles scintillantes, trahissaient à la fois renoncement et méfiance. « Que me veulent ses garçons ? Pourquoi ils me touchent ? » semblait-il s’interroger. Probablement l’enfant n'était-il pas conscient de la nature de la situation et son état d’extrême faiblesse avec à présent la camisole qui le compressait, faisait de lui une chrysalide inerte et vulnérable. En s’arc-boutant dans la cavité, Panthère conduisait le corps suspendu de telle sorte qu’il ne heurtât point les parois, tandis que Rémi lui maintenait les pieds que chaussaient des godillots en piteux état.

 

 

Le franchissement de la lucarne fut un enfer. Dans son carcan de laine grise, le colis humain ne passait pas. On ne pouvait évidemment pas « forcer » le corps dans l’orifice resserré qui le séparait de l’air libre. Wapiti opina : « Il faut lui enlever la couvrante, sinon il passera pas ! – Tu as raison, dit le C.P., lâchez du mou, faut le redescendre ! ». Wapiti et Renard laissèrent filer la corde et son précieux fardeau. Panthère et Furet réceptionnaient le corps et le déposaient sur l’éboulis. L’enfant sauvage ne réagissait pas à ces manipulations dont il ne comprenait ni la raison ni le bien-fondé ; demeuré dans une demi-inconscience, on pouvait même douter qu’il savait il se trouvait. On détacha la boucle de corde et les deux ceinturons. Son gilet en peau de chèvre, épaisse toison de poils, fut également ôté et Panthère renoua le filin de nylon autour de la taille du garçon désormais simplement habillé d'une chemise à manches longues et d’une culotte courte en drap épais. Légèrement vêtue, la victime à extraire de l’aven allait, pensait-on, en franchir plus aisément l’étroiture. Au niveau des épaules, l’enfant sauvage, toujours docile, « coinçait » entre les lèvres du lapiaz. « Attention ! Doucement... Ne l’écorchez-pas ! » recommandait le C.P. Les sauveteurs faisaient de leur mieux ! Renard eut l’idée de faire d’abord passer un bras du garçon comme eux-mêmes le faisaient pour s’extirper de la cavité. Panthère, bien agrippé à la paroi, décolla un bras du « boumian » pour le lever vers la lucarne ; le membre de l’asphyxié se laissait prendre comme celui d’une poupée de son et le C.P. le saisit depuis l’extérieur. Un bras était passé, les épaules allaient suivre... Resté debout sur l’éboulis, Rémi offrait ses mains en marchepied à l’enfant sauvage, lequel, attrapé par les aisselles, sortit enfin de sa prison souterraine. Il y eut des « Ouf ! » de satisfaction. Panthère puis Furet retrouvèrent eux-aussi l’air libre. Il était temps car la nausée commençait à les envahir. La bulle de gaz venait de rendre ses dernières victimes. De l’aven du Furet, de la lucarne « du Diable », les choucas en avaient « soupé » et la patrouille ne serait plus impatiente de la visiter pour profiter de la désobstruction à l’explosif ! Tout « inventeur » qu’il en était, Rémi lui-même était fâché avec le trou maudit - pour un certain temps en tout cas.

 

 

Deux choucas venaient de confectionner le brancard : une couverture judicieusement pliée en portefeuille sur les deux branches épaisses. L’enfant sauvage y fut déposé puis à nouveau couvert. Sous les étoiles, au cœur de la garrigue, à travers lapiaz, rochers et végétation touffue parfois épineuse, un étrange convoi d’aspect funéraire se déplaçait au clair de lune, silencieux. On y pouvait voir une lampe à pétrole qui ouvrait la marche, un garçon qui écartait feuillages et branches, deux garçons qui brancardaient un corps comme mort et deux autres qui l’accompagnaient de près pour prévenir quelque chute due à un mouvement malheureux. Beaucoup plus tard, Rémi-Furet-Rêveur me confessa que cette nuit-là, durant cette marche d’allure funèbre, il ne cessa d’imaginer qu’il participait à un enterrement du néolithique alors qu’on amenait un homo-sapiens-sapiens au dolmen du Bois aux Fées...      

 

 

 

A suivre... sur ce lien

 

BRANCARD COUVERTURE.jpg

 

 

Lexique

 

 

 

Position de sécurité : (secourisme)  Il existe plusieurs variantes de 'la position latérale de sécurité'.  La victime est placée sur le côté, tête en arrière, bouche ouverte et dirigée vers le sol pour éviter que sa langue ne tombe dans sa gorge et pour que les vomissements éventuels s'écoulent librement sur le sol (risques d'étouffement)

Chrysalide : (nymphe) forme intermédiaire entre l'état de chenille et celui de papillon

Homo-sapien-sapiens : les populations humaines vivantes et celles qui les ont précédées et qui leur étaient très semblables - Aussi appelé « Hommes modernes ». Caractéristiques générales de l'espèce Homo sapiens mais avec une capacité cérébrale plus élevée



18/11/2018
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