Le sang du foulard

Le sang du foulard

Le Squelette de l'aven - Episode 25

Roman feuilleton inédit de Gérard Foissotte © 2018

L'épisode précédent est sur ce lien

Avertissement : les aventures de la patrouille des Choucas se déroulent avant 1962

 

 

A Paul-Jacques Bonzon et à ses Six compagnons

qui m'ont mis sur la piste de vraies aventures

 

...et à mon fils !

 

 

 

 

Le mystère de la garrigue

 

 

Un orage terrible s’abattit sur la région en tout début d’après-midi. Le tonnerre roula sur la garrigue, gronda dans les gorges de l’Ardèche qui, devenues caisse de résonance, en prolongeaient le tumulte fracassant par des échos sans fin. Les écluses du ciel déversaient brutalement des trombes d’eau. Les précipices se diluaient dans une opacité aqueuse et changeante qui gommait les falaises et effaçait la rivière. Toutes les traces de la présence humaine s’anéantissaient dans le déchainement des éléments : brumes et pluies diluviennes escamotaient les villages, les fermes isolées et les routes. Tout n’était plus que garrigue... Les ardéchois du sud ne craignaient pas ces orages cévenols qui participaient du climat de leur pays, un climat rude, changeant, que se disputaient les vents du sud ou du nord. Les averses apocalyptiques, les vents violents, les chutes de grêle ou les tempêtes de neige, au fil du calendrier, étaient leurs ordinaires saisonniers.

 

Dans la petite école de Saint-Remèze, où les cours des filles et des garçons étaient dissociés par un bâtiment abritant deux salles de classe au rez-de-chaussée et les appartements des instituteurs à l’étage, les cordes d’eau fouettaient les vitres des hautes fenêtres, faisant sursauter les enfants pourtant habitués à ces agressions de dame Nature. Dans la classe « unique » du tout jeune Arthur, où le maître enseignait aux « CP » et aux « CM2 », un brouhaha d’oisillons bavards excités par l'orage prenaient le dessus sur la leçon de M. Chauletier. « Rassurez-vous, les enfants ! La maison construite par M. Jules Ferry est faite pour résister à toutes les intempéries... – C’est qui Jules Ferry ? – C’était le maçon ! – Mais non, gros benêt ! M. Jules Ferry était le ministre de l’Instruction publique, et c’est sous les directives de ce grand homme de la République qu’ont été construites, selon ses plans, toutes les écoles communales comme celle-ci... Vous avez vu la date gravée sur le fronton de notre école... ? Oui, Petit Jean ? – 1902 ! ».

 

Ce mini tout mini court d’histoire sur l'école française avait fait diversion aux petites terreurs enfantines. Le tonnerre pouvait gronder comme un beau diable, les éclairs embraser la cour, le déluge marteler la terre battue, que cela n’impressionnait plus les marmots puisque M. Jules Ferry avait tout prévu ! L’épisode impromptu de M. Chauletier sur la solidité du bâtiment communal « de 1902 » avait fait décrocher le fils du braconnier ; Arthur pensa à son père, à ses relevés de collets, à ce terrible orage qui devait l’isoler dans une garrigue plus hostile que jamais... De plus, le plateau calcaire crevé d’aspérités attirait la foudre avide de plonger dans les sous-sols et son cher papa pouvait être foudroyé ! Quelle sottise avait-il faite en s’enfonçant dans la garrigue avec un temps pareil ! « Vous rêvassez, M. Arthur ? ». Le maître ne tançait jamais sérieusement le petit contemplatif de sa classe mais il se devait de le ramener entre les murs... de M. Jules Ferry. A la récréation et malgré le déluge, les enfants envahirent gaiement le minuscule préau de leur cour. L’abri y était assuré et il faisait si bon humer l’air frais après le confinement de la classe électrisée par l’orage. Arthur ne cessait de regarder la garrigue et ses collines par-delà le portail et les toitures de tuiles où les gouttes rebondissaient, garrigue dont en fait il ne percevait que quelques fragments fantomatiques.

 

A l’heure de la sortie, la pluie avait cessé. De l’eau ruisselait dans les ruelles et de la boue liquide salissait les chaussées. La jardinière de la maman de Bidon était une flaque d’eau ambulante et le cheval était mouillé comme une serpillère ! Les enfants du « ramassage » se tassèrent promptement dans la voiture, tous ayant hâte de se mettre au sec à la maison. Arthur ne disait rien tandis que les autres écoliers du voyage papotaient sans discontinuer ; le garçon du « cabanon des Vignes » se souciait pour son père. « Ça ne va pas, Arthur ? Tu es bien silencieux ? – Son papa est dans la garrigue pour ses collets ! dit un gamin. – Il a peur pour la foudre ! » précisa un autre. Arthur sauta prestement de la jardinière pour courir à la maison. « Tu oublies ton cartable ! » alerta un môme.

 

Dans le cabanon solitaire, tout semblait trop calme ; seules les gouttes tombant de la toiture sur une tôle habitaient ce silence angoissant. L’enfant du braconnier subodorait que son père était absent ; il n’était guère plus de dix-sept heures mais l’orage et les averses diluviennes étaient autant de raisons d’être déjà de retour à la maison...  La clé se trouvait à sa place, dissimulée dans sa loge du mur. Intuitivement, le jeune Arthur avait la certitude que cela augurait rien de bon. Il inspecta la garrigue d’un regard panoramique, n’y discernant aucune silhouette qu'il eût voulu être celle de son père. A la lumière de la faible ampoule à incandescence qui éclairait au-dessus de la table, un détail frappa l’attention de l’enfant : la montre à gousset, avec sa chaînette, était demeurée sur le plateau, entre les miettes de pain et le bol du petit déjeuner. Son père n’oubliait jamais cette précieuse montre ! Fallait-il y voir un signe de malheur ? Il prit la montre (qui était sans trotteuse), la colla à son oreille et constata que le tic-tac était bien actif. Machinalement, il en actionna le remontoir pour entretenir ce souvenir mécanique de sa mère. Vaillant, courageux, le garçon du cabanon des Vignes mordit un croûton de pain, une barre de chocolat, but un verre de lait puis sortit à la recherche de son père. Car pour Arthur, il s’agissait bien, déjà, d’aller « rechercher » son père. Était-il en difficulté quelque part, blessé, une cheville douloureuse prise dans la fissure d’un lapiaz ? Il n’était pas perdu car il connaissait trop bien la garrigue environnante : de Bidon à Saint-Marcel d’Ardèche, situé à quelque deux heures de marche, le plateau était « son » territoire – de chasse et de braconnage. Chacune des collines, chacun des lapiaz, tous les menhirs (effondrés) et tous les dolmens constituaient pour lui jalons et repères... Et puis, il était accompagné de Voyou ! Le fidèle épagneul, complice averti de son père, aurait probablement l'instinct de rentrer à la maison, d'alerter à sa manière les villageois ou tout au moins de ne cesser d'aboyer en restant auprès de son maître.

 

Jusqu’au début de la soirée, alors que le crépuscule ocrait l’horizon à l’ouest dans un ciel partiellement dégagé, le fils du braconnier courut les grands espaces, rocailleux, nappés de cette senteur si particulière de la pierre calcaire après les pluies – parfum combiné d’humus, de feuillages verts et de bois mouillés. Des oiseaux corvidés lançaient des cris d’espoir – ou de détresse. L’enfant, enrobé de sa cape qui lui donnait des airs de spectre noir des garrigues, avait rapidement quitté la D201 pour pénétrer au cœur du monde sauvage, ce monde qu’il aimait tant et que son père avait domestiqué. Fendant les buis trempés, se griffant les jambes, heurtant les pierres et saillies du sol crevassé, traversant les clairières minérales, où des « cupules » emmagasinaient l’eau de pluie, le garçon n’avançait pas au hasard : il avait fréquemment accompagné son père pour poser les collets. D’ailleurs, certains des collets « à relever » étaient de ceux qu’il avait lui-même posés juste avant la rentrée des classes. Il cria plusieurs fois après Voyou, espérant en réponse des aboiements venus de quelque part. Arrivé au dolmen du bois aux Fées, il se précipita dans l’abri préhistorique espérant y trouver quelque indice.

 

Dans la sépulture mégalithique gisaient le sac tyrolien de son père et le sac en toile de jute, bosselé par ce qui devait être une prise...

 

A suivre... sur ce lien ! 

 

 

 

Lexique

 

 

Subodorer : (rappel) pressentir
    

 



02/01/2019
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